Sous l’aile des anges

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Amérique, année zéro.

Une destinée manifeste

Huit ans, c’est le temps qu’il aura fallu à ce premier long métrage de A.J. Edwards pour se frayer un chemin jusqu’à

nos salles françaises. Dans cet intervalle, le monde a en partie changé de figure, trois présidents se sont succédés

outre-atlantique, une pandémie a ensommeillé le monde pendant plus de deux ans et un climat de tension s’est

insidieusement installé sur notre vieille Europe. Mais passons. Huit années d’attente semblent bien dérisoires au vu

des ambitions de ce jeune cinéaste qui a choisi pour son premier film de déterrer certains mythes ancestraux d’une

Amérique du temps jadis. Au mépris des obsessions d’un cinéma contemporain pour les contingences de notre

époque et du classicisme de ses représentations, Sous l’aile des anges esquisse avec habileté la connivence qui

relie la conquête d’une terre primordiale et la construction d’un regard spécifique à partir duquel émerge une

certaine idée de la civilisation. Et cette construction symbolique qui passe prioritairement  par l’épreuve du sensible

ne concerne pas n’importe quel individu. Dès l’ouverture, une correspondance furtive s’installe entre les images

vagabondes du Lincoln Mémorial de Washington, à l’heure de la nation accomplie, et ces terres primitives de

l’Indiana auxquelles on accède par la rivière. La caméra de A.J. Edwards nous invite ainsi à remonter le cours du

temps, jusqu’en 1817 très précisément, où un couple de deux enfants s’échine dans le creux des bois pour

la survie de la famille. Au sein de ce quotidien laborieux, on remarque la présence d’un jeune garçon à l’air songeur

et quelque peu inadapté à la rudesse de son environnement. Ce dernier, qui n’est autre qu’Abraham Lincoln, se

distingue par des facultés hors du commun, pour l’heure bridées par les exigences du travail journalier que lui

impose son père.

 

Sous influence

Il est difficile de ne pas voir dès les premières images du film la parenté stylistique qui rattache Sous l’aile des anges

au travail de Terrence Malick, avec lequel Edwards collabore depuis Le Nouveau Monde en tant que monteur, et qui

s’avère être le producteur du film. Toutefois, loin de singer l’esthétique de son maître à penser, faite d’incessants

mouvements d’appareil, tout en grands angles et contre-plongées, la symphonie visuelle que travaille Edwards place

davantage son film comme un satellite gravitant autour de l’œuvre de Malick qu’un analogon de cette dernière.

Histoire de rompre prudemment les ressemblances, il fait ici le choix du noir et blanc, comme une manière d’évoquer

ce passé historique sous le prisme de l’expression poétique et non de la simple reconstitution aux accents

naturalistes tels que le formule habituellement le genre du biopic.  Ici, le regard que pose le réalisateur sur ce monde

originel au centre duquel le jeune Lincoln prend peu à peu conscience des choses, nous invite à percevoir un tout, à

entrer dans cette ronde élémentaire qui unit les pères fondateurs du Nouveau Monde à leur territoire, dont les

multiples composantes font autant la part de l’identité américaine que la manière dont ces derniers parviennent à y

gagner leur autonomie.

 

L’Amérique au creux des choses

En pénétrant l’intimité de ce jeune Lincoln, A.J. Edwards déploie un régime d’images qui ne donne pas seulement à

voir les rapports qu’entretiennent les individus à cette terre matricielle, mais insiste davantage sur le lien originel qui

connecte sans cesse les choses entre elles. En perpétuel mouvement, la caméra nous invite à observer le ciel, la

terre, les arbres, les pierres et les cours d’eau, en pénétrant l’ordinaire des choses comme autant d’expériences

sensibles à partir desquelles le jeune Lincoln aiguise sa compréhension du monde. Toute cette polyphonie visuelle et

cosmogonique tend à nous faire ressentir comment ce jeune garçon, transit par le réel et son âpreté, semble pris

d’un sentiment d’éveil au contact du frémissement de la nature et des vicissitudes de l’existence humaine, ce qui le

mènera, puisque telle est sa destinée, jusqu’aux plus hautes sphères de la nation américaine.

 

Titre original : The Betters Angels

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 94 mn


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