Seule sur la plage la nuit

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Onirique et poétique, le nouveau film du Sud-Coréen Hong Sang-soo est une merveille de finesse et d’esthétique.

Film autobiographique ?

Le nouveau film du Sud-Coréen Hong Sang soo possède un petit air autobiographique, tant il semble proche de sa jeune et talentueuse actrice, Kim Minhee, qui a reçu le Prix d’interprétation féminine à Berlin cette année. S’inspirant d’un poème de 1855 de Walt Whitman, Feuilles d’herbe, Hong Sang soo s’amuse à jouer sur l’ambivalence entre le rêve et la réalité, comme pour approuver l’univers même du cinéma, tout en mettant en valeur la beauté et le naturel de son actrice principale. Dans cette mise en abyme par excellence, Kim Minhee, plus vraie que nature, interprète le rôle de Younghee partie en Europe – peut-être en Allemagne dont elle admire les parcs et la douceur des hommes -, pour tenter d’oublier son travail de comédienne, ses amis mais surtout son histoire d’amour avec un homme marié. Seule sur la plage, elle se prend à rêver et à penser à lui.
 

Un film composé comme un rêve

Les deux parties distinctes du film se présentent comme les deux faces d’un même rêve. Younghee à l’étranger, sur la plage, puis quelque temps plus tard, la voici de retour en Corée du Sud, plus exactement à Gangneung où, encore une fois sur la plage où elle semblait s’être endormie, elle fait la connaissance d’une petite troupe de cinéma avec qui elle va partager un repas. On mange et boit souvent dans les films coréens et celui-ci ne déroge pas à cette règle tout en répandant une petite mélancolie aigre douce, pleine d’un humour bizarre et d’une forme de désenchantement qui pourrait laisser penser que le film s’inspire d’une histoire vécue et que le cinéaste du film pourrait bien être le double de Sang-soo Hong. On doute, on rêve, bref on regarde un film qui transporte le spectateur dans un autre univers, un autre pays, dont il n’a pas les clés. Il ne peut alors que se fier à son intuition pour tenter de trouver le fil d’une intrigue envoûtante et pleine de charme. Younghee est présentée comme une sorte d’Ariane qui s’emploierait à nous sortir du labyrinthe même si sa cruauté et ses provocations envers ses amis et collaborateurs peuvent surprendre par leur violence subite, mais dont on comprend aussi aisément les méandres et les motivations.
 

Vies et morts du passé, du présent, du futur

Émouvant, tendre et retenu, Seule sur la plage la nuit est un très beau film qui vient compléter la série déjà abondante et éclectique de ce réalisateur qui surprend chaque fois Même si personne ne comprend vraiment le sens de ce puzzle qui met en place des personnages vraiment crédibles, mais tout aussi étonnants, la réponse à ce mystère se trouve peut-être dans le poème de Whitman finalement lorsqu’il écrit : « Nations, couleurs de peau, barbaries, civilisations, langues, / Identités déjà existantes ou bien encore à venir sur notre globe ou tout autre globe, / Vies et morts du passé, du présent, du futur, / Une seule et même symétrie les unit depuis toujours par son amplitude, / Les unit, les unira toujours par ses clés solidaires, le jeu réglé de ses serrures. »

Titre original : Bamui haebyun-eoseo honja

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Durée : 101 mn


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