C’est une partie du défi Rubber, dont l’origine remonte à l’écriture d’un monologue pince-sans-rire sur l’absurdité du cinéma. Déclamé face caméra, ledit monologue ouvre le film, promesse autant qu’avertissement sur la nature indéfinie de ce qui va suivre. Déjà avec Non-Film, moyen métrage tourné avec ses potes de l’industrie musicale (Sébastien Tellier), Dupieux s’engouffrait dans la déconstruction du récit. Entreprise vaine à l’époque, trop autocentrée pour s’adresser à nul autre que son auteur.
Depuis, Quentin Dupieux a pris conscience qu’il s’adresse à un public. Jusqu’à l’inclure dans son film : réunie dans le désert, une poignée de spectateurs assiste aux aventures du pneu. La théorie brouillonne de Non-Film trouve alors son accomplissement, Rubber refusant également de se conformer à une structure de scénario classique. Celle-là même qui dominait le long métrage Steak.

Entre photographie et cinéma
C’est l’autre défi, technique celui-là, du film : apprivoiser un outil limité et pas vraiment destiné pour le cinéma au départ. Il s’en tire avec élégance, non pas en voulant singer une réalisation classique au 35mm (voire en DV) mais en s’adaptant aux possiblités de son Canon numérique. D’où des images à la lisière de la photographie et du cinéma. Une poésie contemplative (la lumière et la beauté des paysages désertiques), à la fois dans l’action et en dehors, en symbiose avec la construction binaire de son film (d’un côté le public, de l’autre l’aventure du pneu tueur).

Un objet vide et creux
Première marque de fabrique, la marionnette jaune Flat Eric laisse la place à un objet vide et creux. Le pari était d’insuffler la vie à un morceau de caoutchouc. Dans le monde de Rubber, le pneu est l’unique personnage doué de sentiments et d’un passé. Expert dans l’art de faire sauter des têtes à distance (selon un procédé proche de celui utilisé par David Cronenberg dans Scanners), colérique, vengeur. Et tout aussi capable d’éprouver un troublant désir pour une jeune femme – la nouvelle égérie du cinéma pop Roxane Mesquida (Sheitan, Kaboom).
Outre Cronenberg, Rubber partage d’évidentes affinités avec Duel. Dans son désir de déconstruction, Dupieux désosse le monstre de la route du téléfilm de Spielberg pour n’en garder que le strict minimum. Le film tentant, à partir de là, de bâtir une nouvelle approche de la Série B, sans lien aucun avec les hommages glacés qui fleurissent depuis les années 90 (cf les slashers sortis dans le sillage des Scream).
Peut-être n’est-ce pas un hasard si le dernier plan de Rubber dévoile la colline de Hollywwod. Dupieux se défend de transmettre un message, se contentant de boucler la boucle en légèreté après le monologue d’ouverture. On préférera s’octroyer le droit d’y voir une déclaration d’intention. Ou, au moins, une affirmation de la "méthode" Dupieux : la liberté de faire des films comme il l’entend. Comédie drôle et gore, Rubber se dote ainsi d’un rafraîchissant esprit d’indépendance.
