Queen of Montreuil

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Le phoque et la veuve : la comédie en grâce.

Tourné grâce à l’intervention de Robert Guédigian, qui aurait fourni de sa poche les 600.000 euros nécessaires au bricolage du film, Queen of Montreuil profite de son économie de la débrouille, sans se départir d’une élégance qui le place au dessus de certaines comédies d’auteur françaises un peu grises.

Il est question du deuil d’une femme, argument dramatique originel dans lequel la réalisatrice Sólveig Anspach puise matière à décalage. Sans jouer sur un registre tragi-comique trop insistant, le film travaille plutôt la chronique villageoise peuplée de personnages loufoques. Deux islandais en escale forcée en France s’incrustent chez l’héroïne (Florence Loiret-Caille), des voisins bobos essayent maladroitement d’être présent au chevet de la peinée, et toute une communauté hétéroclite et internationale virvolte dans Montreuil.

Quand elle est exagérément recherchée, la bizarrerie peut vite virer mécanique, voire suspecte. Ici, la qualité d’écriture, la légèreté du trait et surtout l’excellence générale de l’interprétation porte le projet plus loin, vers un cocon d’optimisme pas désagréable. En parlant du film, Florence Loiret-Caille décrit un univers « où l’amour fait pleurer et la mort fait rire ». Son personnage, femme choquée s’agrippant à l’urne funéraire de son aimé, est le catalyseur de ce renversement des affects, travaillé patiemment durant tout le film. En plusieurs étapes que l’on pourrait retrouver dans un film dramatique sur le même sujet – choc/acceptation/colère/renaissance – l’héroïne s’en sortira, convolant en nouvelles noces dans un final de happy end presque digne d’une comédie de remariage.
  
   

Florence Floret-Caille et son « mari »
  
 
L’appui de quelques scènes d’animations bricolées n’était pas forcément nécessaire, mais rappelle le film de Claude Duty Filles perdues, cheveux gras (2002), où la légèreté du conte et de la chanson faisaient contrepoids au désespoir ambiant. Il y a également une filiation évidente avec le cinéma de Sophie Fillières (Gentille, 2005 ; Un chat, un chat, 2009), Queen of Montreuil partageant l’absurde un peu désespéré des dialogues et des situations, comme quand Agathe qualifie son état de veuve d’un « je ne suis pas d’accord » très sérieux avant de s’enfermer dans sa salle de bains pour tirer au sort le nombre de Lexomil qu’elle avalera aujourd’hui.

Le goût des rencontres langagières, des anglicismes jusqu’aux quiproquos de traductions (grand moments entre le grutier Samir Guesmi et Anna l’islandaise), où encore le télescopage de personnages aux antipodes produisent les scènes de comédie pure les plus souples, les plus abouties. L’ultime trouvaille, elle aussi inscrite dans une habitude de comédie fonctionnelle mais plutôt efficace, est la rencontre avec un animal (ici un phoque, pour le jeu de mots, mais en vrai une otarie) sous les traits duquel se cacherait une âme bien humaine – procédé inverse du Didier (1997) d’Alain Chabat.

Quand à la ville de Montreuil, théâtre de toits ensoleillés et de gens observés par la fenêtre, Sólveig Anspach la filme comme un espace coloré et joyeux, du haut d’une grue jusqu’au fin fond d’un marché aux tissus. Cette cohérence globale entre une vision plutôt enchantée de la vie et de ses personnages de cinéma finit d’asseoir ce film de troupe, aux acteurs merveilleux (tous, avec en plus le bonheur d’apercevoir le trop rare Thomas Blanchard dans un fado travesti mémorable) comme une réussite : équilibre entre efficacité du rire et  ton personnel, alchimie d’un film pas si fauché que ça. 

Titre original : Queen of Montreuil

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Durée : 97 mn


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