Rencontre avec Paul Greengrass

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Il est aussi direct et trapu en interview que derrière une caméra. Rencontre avec Paul Greengrass, l’homme comblé de la saga « Jason Bourne », réalisateur du très efficace thriller politique actuel, « Green zone ». Le film n’a pas forcément bien marché aux USA : on comprend pourquoi…

Efficace. Même les plus rétifs à son style le reconnaissent : Paul Greengrass, ancien documentariste britannique reconverti en réalisateur de blockbusters « made in Hollywood », est un cinéaste… efficace. Confer, aujourd’hui, l’impact des aventures de Jason Bourne – sa saga « estampille » – sur le grand public en termes de dollars, bien sûr, mais aussi sur la manière de faire des films d’action désormais (densité narrative, cadres décadrés et courses-poursuites invraisemblables mais jouissives). Nul ne s’étonnera, dès lors, de le retrouver aux commandes d’un thriller politique captivant. Et certainement pas lui : l’homme est à peu près aussi direct et trapu en interview que derrière une caméra ! Cheveux longs, comme ébouriffés par une récente tempête de sable, chemise saharienne façon grand reporter « j’ai eu des pelloches plein les poches », Paul Greengrass, la cinquantaine massive, affiche au mieux un sourire d’avril (ne te découvre pas d’un fil). Green zone, de fait, revient sur la seconde guerre en Irak, son mensonge originel et la débandade américaine s’y afférant. Rien de jovial a priori. Écoutons-le en parler.

Pourquoi avoir choisi la forme fictive du thriller pour revenir sur la seconde guerre en Irak ? Vous êtes journaliste et documentariste, à l’origine…

« Je pense que l’on vit une époque qui est, en quelque sorte, favorable aux thrillers ! Je veux dire que l’on retrouve les mêmes déconnexions, les mêmes incompréhensions, entre les gens et le monde dans lequel ils vivent, que celles qui existaient dans les années 70, à l’époque de la guerre du Vietnam. Rappelez-vous, cette époque trouble a généré beaucoup de thrillers, hé bien c’est la même chose aujourd’hui ! Parce que le thriller se situe dans ce monde fragmenté, et non pas à côté, ou dans l’imaginaire. Il en montre l’urgence, les turbulences. Et puis aussi, il permet d’emmener le public dans des lieux où seul le cinéma peut aller. Bien sûr, ça peut être des lieux réels, que l’on voit au journal télévisé… Sauf que le cinéma vous y emmène d’une façon dont les actualités sont tout simplement incapables !

Mais votre intention, à l’origine, c’est de dénoncer le mensonge sur les fameuses « Armes de destruction massive », à l’origine de cette seconde intervention militaire américaine en Irak ou bien… de raconter une histoire haletante ?

Les deux ! Parce que, depuis 2003 et ce mensonge sur les ADM, la dislocation, la fragmentation du monde s’est accentuée. Et je voulais parler de cela. Mais je voulais aussi réaliser un thriller authentique et crédible. C’était toute la difficulté d’ailleurs, au départ : savoir si l’on pouvait créer un film bourré d’action et mystérieux, qui s’aventure dans un monde secret, comme c’était le cas avec la franchise Jason Bourne, et, en même temps, placé cela dans le centre de Bagdad, dans les semaines désespérées qui ont suivi l’invasion… J’espère que l’on a réussi…

Pour revenir sur ce « mensonge originel », qui reste l’un des ressorts dramatiques de nombre de livres et de films, singulièrement aux États-Unis, quand en avez-vous pris conscience, vous-même, dans la réalité ? Et quand avez-vous décidé d’en faire un film, avec Matt Damon ?

Peu après l’invasion de l’Irak, nous étions en train de tourner La Mort dans la peau, et nous discutions beaucoup de tout cela avec Matt. Nous n’étions pas forcément d’accord… Quand il y a eu le grand discours de Bush, puis celui de Tony Blair, moi je n’avais aucun doute, je croyais à ce qu’ils nous disaient… En fin de compte, le voyage du soldat Miller dans le film, qui s’émancipe peu à peu de la pensée dominante et devient un électron libre, hé bien ce voyage, c’est un peu le mien ! Car comme beaucoup de gens, j’ai été sous le choc quand j’ai su que cette histoire d' »Armes de destruction massive », c’était un mensonge. Comment nous en sommes arrivés là ? Voilà la question que je me suis posé. Et c’est là, en effet, que commence Green zone…

Les Français sont souvent impressionnés par le fait qu’Hollywood n’hésite pas à revenir, souvent de façon critique, sur des faits récents de l’Histoire des États-Unis. Vous participez de ce mouvement avec Green zone, en même temps vous êtes britannique… Qu’en pensez-vous ?

C’est vrai, il intéressant de voir combien ce système commercial sait s’adapter aux vrais problèmes de notre siècle. Il y a, en effet, un instinct chez les Américains à l’auto-critique, alors que c’est assez différent en Angleterre, croyez-moi…! Disons qu’en Amérique, les films tentent d’apporter des réponses à ce qui s’est passé réellement. Et les deux moteurs du cinéma actuel, là-bas, ce sont le 11 septembre et la guerre en Irak. Cela étant, je pense que les meilleurs films sont ceux qui sont basés sur des questions. La fabrication de Green zone, par exemple, a d’abord été un processus pour trouver des réponses, cela pour chacun d’entre nous ! Car ce film est le produit de longues conversations, à multifacettes, avec le scénariste, avec Matt, avec les producteurs : encore une fois, nous n’étions pas toujours d’accord… Mais il y a une chose dont je suis sûr, au moins : quand vous faites un film, il vous faut un point de vue. Je dis toujours ça à mes étudiants : c’est ce que les gens attendent de vous, la passion et un point de vue !

 


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