Rencontre avec Patric Jean

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Dans un documentaire intelligemment militant, le réalisateur belge s´interroge sur les racines de l´inégalité des sexes qui structure les sociétés occidentales.

« Vous avez-dit égalité ? », interroge Patric Jean sur l’affiche de son nouveau film, La Domination masculine, un documentaire intelligemment militant. Education, politique, publicité, jeux de séduction… Le réalisateur belge explore tous les lieux d’exercice possibles de cette domination ancestrale, en s’arrêtant plus particulièrement sur le cas (éclairant) du Québec. Une preuve que le propos est juste ? Il a fait sortir de leurs gonds les hommes les plus misogynes – ceux pour qui « le féminisme est un crime contre l’humanité » – qui inondent la blogosphère de commentaires haineux. Face aux incitations à la violence et aux menaces dont il a fait l’objet, Patric Jean a même dû récemment renoncer à un voyage à Montréal. « Je veux que les spectateurs se disputent en sortant de la salle », annonçait-il – sur le ton de l’humour – dans le dossier de presse du film. C’est réussi. Rencontre avec un homme qui se définit comme un « pro-féministe radical ».

Ce titre, La Domination masculine, c’est un hommage à Bourdieu ?

Patric Jean : Rien à voir. « La domination masculine », c’est une expression très ancienne dans la littérature. Je voulais parler exactement de ce sujet là : pas des combats des femmes mais de ce qu’est la domination masculine aujourd’hui en Occident. Le titre m’a donc sauté aux yeux.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ce sujet ?

J’ai choisi de travailler sur ce sujet pour des raisons politiques. De la même manière que je fais des films sur les pauvres parce qu’il y a des pauvres, j’ai eu envie de faire un film sur la domination masculine parce que nous vivons dans une société patriarcale où les femmes ne peuvent pas occuper la même place que les hommes. Or, si tout le monde est conscient de l’existence de la pauvreté dans le monde et donc de la nécessité de faire des films sur ce thème, la question du rapport entre hommes et femmes et de l’injustice de genre ne saute pas aux yeux. Dans l’idéal, ma démarche ne devrait donc surprendre personne.

Pourquoi avoir consacré une grande partie du film au Québec ?

Parce qu’en matière de relations hommes-femmes, c’est une société qui a vingt ans d’avance sur la Belgique et la France où se déroule le reste du film. Il y a eu des combats de femmes et des raisons politiques et historiques complexes qui ont fait que c’est une société déjà beaucoup plus égalitaire que la nôtre. L’égalité n’est pas parfaite, mais c’est déjà un grand pas en avant. Sur la question de la violence conjugale par exemple, le Québec a clairement vingt ans d’avance, au moins. Mais ça c’est le côté positif. Le revers de la médaille, c’est que cette avance entraîne ce qu’on appelle le « ressac » ou « backlash » : le système réagit et on observe un contre-mouvement émancipatoire de la part d’hommes qui ne veulent pas perdre leurs privilèges et qui s’organisent pour que les femmes progressent le moins vite possible, voire qu’elles régressent.

Est-ce le début d’une guerre des sexes ?

Pas d’une guerre des sexes mais d’une guerre politique. Côté féministe, vous avez évidemment une majorité de femmes mais aussi quelques hommes. Et du côté du backlash, vous avez une large majorité d’hommes, mais également une association de femmes qui militent pour que les femmes retournent à leurs casseroles et que les hommes gardent le pouvoir. La question est donc clairement politique : il s’agit de décider si on va continuer à progresser en essayant d’aller vers plus de justice et d’équité ou si l’on reste dans une société archaïque où les femmes font la popote pendant que les hommes partent à la chasse. Je caricature à peine…

Au cours du tournage, avez-vous eu des surprises ?

Ma grande surprise a été de voir à quel point les femmes victimes de violences conjugales racontent toutes exactement la même histoire. Et ce, dans tous les pays où j’en ai rencontrées. Comme si elles s’étaient téléphonées pour se donner le mot. Même les mots qu’elles emploient pour décrire leur ressenti sont souvent les mêmes. Ce phénomène de violences conjugales n’est pas une suite d’histoires personnelles particulières, c’est un phénomène social. La preuve : ça se reproduit toujours de la même manière et dans toutes les classes sociales. Ça commence toujours par une forme de violence psychologique, par la dévalorisation de l’autre, par l’insulte. Et puis les coups arrivent…

Vous parlez peu de religion alors qu’habituellement, le sujet est mis sur le tapis dès que l’on aborde la place de la femme dans la société. Pourquoi ?

Effectivement, quand on parle des femmes, la question de la religion revient sans cesse, parce qu’on parle de l’Islam et qu’on veut toujours nous expliquer que le musulman est un méchant macho qui bat sa femme. Ce faisant, on oublie que toutes les 55 heures, en France, un homme tue sa femme. Or, ils ne sont pas tous musulmans. Certains le sont peut-être, mais ils ne sont pas surreprésentés. Par ailleurs, toutes les classes sociales sont concernées : des médecins, des avocats… Il y a peu de temps, c’est un député qui a tué sa maîtresse. J’ai pensé à parler de religion, mais j’aurais dans ce cas parlé des trois religions et pas seulement de l’Islam, évidemment. Car la question de la femme dans la chrétienté et dans le judaïsme n’est pas abordée de façon plus brillante.

Comment votre mise en scène, très sobre, devait-elle servir votre propos ?

C’est mon style : j’aime travailler sur le silence. Sur ce film en particulier, je souhaitais fournir au spectateur une matière brute. Lui livrer des faits et voir ce qu’il en tire plutôt que lui tenir la main avec un commentaire.

Tout le film est ponctué de scènes où vous recouvrez un mur d’images de symboles phalliques. Que cherchiez-vous à montrer ?

C’est un côté un peu ridicule très masculin et qui me faisait plutôt rire : il semble que dans toutes les cultures, consciemment et inconsciemment, nous les hommes, nous ressentions ce besoin de réaffirmer notre pouvoir sur la société à travers des symboles et, notamment, le symbole phallique. Quand on regarde bien, il y en a absolument partout. Les plots anti-stationnement par exemple, correspondent exactement à la manière dont un enfant dessinerait un sexe en érection. J’ai beaucoup ri il y a quelques années à Bruxelles quand la ville a installé de nouveaux plots, dans une belle pierre de taille. Leur forme était rectangulaire – on ne pouvait donc pas y voir un symbole phallique – mais, à la base, ils avaient ajouté deux boules. J’aurais rêvé d’assister à la réunion chez le maire, d’écouter les gens discuter pour savoir si leur choix était conscient ou inconscient, s’ils avaient trouvé ça très drôle ou si personne ne s’était posé de question.

Vous avez participé à des débats à l’issue des projections en avant-premières de votre film. Les gens se sont-ils disputés autant que vous le souhaitiez ?

Quand j’ai dit que je voulais qu’on se dispute à la fin du film, c’était évidemment une boutade. Mais j’ai tout de même entendu des couples ou même des hommes ou des femmes entre eux, discuter ferme. Plusieurs femmes ont pris la parole dans la salle, très émues. Elles avaient l’impression que le film parlait d’elles. J’ai également reçu une tonne de messages d’insultes anonymes écrits par des hommes beaucoup moins courageux. Pour vous donner une idée, je vous conseille de lire les commentaires sur les blogs et sites internet qui parlent du film. C’est affolant… A la fin du documentaire, je filme des masculinistes. On me demande souvent combien ils sont : dix ? Douze ? Eh bien non, ils sont des millions car leur idéologie est toujours dominante. Tendez l’oreille au coin de la rue ou dans le métro et vous entendrez des hommes discourir et lancer des généralités sur « les nanas », « les gonzesses », « les bonnes femmes »… Toujours ce même vieux discours misogyne. La différence avec les masculinistes, c’est que ces derniers théorisent leurs propos et en font un combat politique. Mais quand on voit combien d’hommes bavent de colère à l’idée même qu’on puisse faire un film dénonçant la domination masculine, on voit combien les idées masculinistes sont présentes dans notre société.

Comment vous situez-vous par rapport au mouvement féministe ?

Je me considère comme un pro-féministe radical. Radical ne voulant pas dire extrémiste. On a souvent et volontairement entretenu la confusion. Il existe un féminisme radical et un certain nombre d’hommes ont voulu faire croire que c’était un féminisme extrémiste. Or, on n’a jamais tué au nom du féminisme. Le féminisme et le pro-féminisme radicaux le sont dans le sens du mot latin qui renvoie à la racine. Cela signifie que l’idée n’est pas de trouver des solutions qui, en surface, vont aplanir les choses, mais de prendre le mal à la racine. En se demandant notamment ce que l’on dira aux enfants, dans le cadre de leur éducation, sur ce que c’est qu’être un homme ou une femme. Autrement dit, je suis un pro-féministe radical parce que je m’interroge sur la racine de ce mal qui structure notre société.

Propos recueillis par Pamela Messi


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