Oriana Fallaci

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Inégal, ce biopic consacré à la grande journaliste Oriana Fallaci mérite quand même le détour.

Lorsque Marco Turco, le réalisateur de ce film, déclare en dossier de presse que raconter la vie d’Oriana Fallaci revient en quelque que sorte à raconter l’Histoire du XXIème siècle, il affirme d’une certaine manière l’ambition démesurée de son projet et semble aussi par la même occasion se défendre à l’avance des critiques inévitables dont le film fera l’objet. Car, de manière générale, entreprendre de révéler au cinéma une figure historique est une gageure, presque un film raté d’avance, si l’on songe à toute la complexité d’un caractère qu’il faut tenter de dévoiler mais aussi à toute la richesse d’une existence qu’il conviendrait de relater avec un maximum d’exhaustivité. Certains cinéastes ont relevé néanmoins ce défi du biopic – puisqu’il faut appeler l’exercice par ce nom disgracieux – avec classe, comme par exemple Oliver Stone avec son Nixon (1996) avec, dans le rôle du Président américain, un Anthony Hopkins habité ; ou David Lean et son Lawrence d’Arabie (1963), avec dans le rôle-titre Peter O’Toole ou encore Richard Attenborough et son Ghandi, en 1983.

Marco Turco nous raconte donc avec ce film la vie hors du commun d’Oriana Fallaci, la grande journaliste-reporter et écrivain italienne, dont l’histoire se confond avec l’incroyablement passionnante histoire de la seconde moitié du XXème siècle. Oriana fait très tôt connaissance avec les atrocités de la guerre, alors qu’elle est résistante à l’âge de 14 ans dans le maquis italien. Puis elle débute sa carrière de journaliste. Elle n’a que 17 ans. Même si les années 50 et 60 seront riches pour elle en interviews, voyages, rencontres people, ce sont les explosives années soixante-dix qui vont voir le talent d’Oriana Fallaci prendre toute sa mesure. C’est là qu’elle va aller au contact des larmes et de la fureur. Elle passera au crible de ses questions, souvent sans concessions, durant cette période – dans des joutes oratoires qui feront sa réputation – tout ce que la planète compte alors de personnalités politiques et religieuses de tout premier plan. Ainsi Fallaci s’entretient avec Henry Kissinger, le Shah d’Iran, l’ayatollah Khomeini, Willy Brandt, Lech Walesa, Ariel Sharon, Walter Cronkite, Kadhafi, Yasser Arafat, Nguyen Cao Ky, Indira Ghandi, l’archevêque Makarios III, Golda Meir, Haile Selassie…

 

De cette profusion de rencontres au sommet, de reportages au cœur de conflits brûlants, il fallait pour le réalisateur faire des choix drastiques, expurger de l’œuvre et de la vie trépidante de Fallaci des épisodes plus marquants que les autres pour édifier une trame qui rende compte tant bien que mal à la fois de la personnalité de la journaliste mais aussi de son incroyable activité. Pour ce qui concerne l’interprétation, même si Vittoria Puccini est jeune et jolie, elle ne retranscrit pas ou si peu toute la force de caractère de son sujet ni même sa méchanceté – qui selon certains témoignages était bien réelle. Certes, Puccini campe une femme libre, volontaire, séduisante et séductrice mais son interprétation manque de relief si l’on songe à la personnalité de son modèle.

Mais, si souvent Oriana/Puccini, omniprésente, manque de vérité, Marco Turco semble avoir réussi bon an mal an la dramaturgie de son métrage. Pour cela, il concentre l’action sur trois périodes clés successives dans la carrière du reporter. D’abord, il nous emmène au Pakistan où Fallaci va s’émouvoir de la condition des femmes musulmanes. Pour symboliser cette prise de conscience, Turco aura d’ailleurs recours a une séquence un peu cliché (qui ne sera pas la seule dans ce goût-là), d’aucun dirait un peu téléphonée, où l’on voit une jeune femme lever son voile avant son mariage forcé pour répondre aux questions de l’occidentale, le visage inondé de larmes… Puis, après l’expérience pakistanaise qui marquera à vie Oriana Fallaci, il y aura la période de la guerre du Vietnam – incontournable. L’on y voit des scènes réussies d’une Saigon à la fois dangereuse et ville de plaisirs, et le grand reporter recueillir des témoignages de GI’s sur le front. Dans La Vie, la guerre et puis rien (1), Fallaci retranscrira ces conversations. Soulignons ici, au passage, l’habile et discret montage du film combinant, par endroits, des films d’archives avec les décors, renforçant la véracité de ces derniers et du coup la mise en scène en général.

 

Mais là ou le réalisateur parvient à nous émouvoir, c’est lorqu’il évoque – et ce sera la partie la plus conséquente du film – la « période grecque d’Oriana Fallaci ». Y est relatée son histoire d’amour, de 1973 à 1976, avec Alekos Panagoulis, opposant au régime des colonels. Dans cette partie, la femme dans toute sa fragilité et la journaliste témoin au plus près de la grande Histoire, ne font qu’un. Grâce à une habile ellipse, Turco suggère l’assassinat de Panagoulis sans nous le montrer. L’émotion que nous ressentons n’en est que plus grande.

Le film de Marco Turco a donc parfois de la profondeur même s’il ne parvient pas à rendre compte de toute la personnalité d’une femme qui fut exceptionnelle. Pour conclure – et pour ne pas tomber dans le piège de l’hagiographie – le cinéaste italien, dans une forme d’épilogue, nous rappelle qu’Oriana Fallaci sombra dans les dernières années de sa vie dans un délire anti-musulman (2) qui fit grand bruit.

(1) Robert Laffont, 1970
(2) in La Rage et l’Orgueil (Plon, 2002)

Titre original : Oriana Fallaci

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Durée : 108 mn


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