Only Lovers Left Alive

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On retrouve beaucoup de la sève originelle de Jim Jarmusch dans ce film même si ses deux héros vampires et dandys déconcertent un peu.

L’action de Only Lovers Left Alive se partage entre deux villes, Detroit dans le Michigan aux Etats-Unis et Tanger au Nord du Maroc. Quel lien y a-t-il entre ces deux cités ? Aucun pourrait-on prétendre un peu rapidement. Or, à y regarder d’un peu plus près, on se rend compte que Jarmuch n’a en aucun cas choisi ces deux agglomérations par hasard. Elles ont toutes les deux des correspondances profondes avec son histoire personnelle, et elles lui servent, en l’espèce, à fabriquer l’ambiance très singulière de ce nouveau film, sorte de fable sur l’immortalité à base de régénération, grâce à de l’hémoglobine congelée, d’un couple de jeunes amoureux multi centenaires. Cette atmosphère très extraordinaire, c’est aussi et surtout les errances nocturnes de nos héros, mélancoliques et délicieusement bercées par des morceaux originaux de vieux rock et de rythmn’n’blues dénichés par un Jim Jarmusch qui, comme toujours, a accordé à la bande-son de son film un soin tout particulier.

 

Eve et Adam sont donc amants depuis quelques siècles et même s’ils se rejoignent de temps en temps, ils vivent chacun de leur côté. Eve (Tilda Swinton) demeure à Tanger, ville ô combien en résonance avec l’univers de Jim Jarmusch et son amour du rock n’roll, et de la poésie puisque la ville fut une escale dans les années 60 et 70 pour la Beat Génération, les Rolling Stones et Jean Genet, entre autres. Depuis cette période, la ville, aux confins de la vieille Europe et de l’Afrique, est un havre pour des groupes aux influences les plus diverses et possède cette aura de ville musicale, un peu underground. Il faut se rappeler que le rock est pour Jarmush presque une deuxième peau. En même temps qu’un des acteurs d’un cinéma plus ou moins expérimental à New York au début des années 80 – période relatée dans l’excellent Blank City (2013) de Céline Danhier -, le futur réalisateur de Mystery Train est un membre actif de la scène rock new-yorkaise. C’était une musique minimaliste, rebelle au formatage, et, pour ces musiciens, la technique n’avait pas d’importance. Parmi les groupes dont il est proche, il y avait les Ramones, les Talking Heads, Television. « C’était une scène vraiment dissidente, assez romantique, ou l’on se sentait comme des « hors la loi » » confie le cinéaste dans une interview donnée à l’occasion de la sortie du film (1).
Romantique, le mot est lâché. Car c’est bien un romantisme nostalgique qui imprégne ce film. Que nos personnages aient été les contemporains de Byron ou de Shakespeare nous fait sourire parfois mais révéle aussi un certain regard désanchanté de l’auteur sur le monde (le nôtre) – qui va très mal. Only Lovers n’est donc pas contrairement aux apparences un film de « vampires » – même si les amants se nourrissent uniquement de sang congelé (parfois même sous la forme de sucettes glacées…) – mais plutôt une variation sur le thème d’un romantisme intemporel et crépusculaire. C’est aussi un clin d’œil à certains films vus par le metteur en scène pendant son enfance à Akron, une petite ville industrielle près de Cleveland ainsi qu’il le confesse toujours dans le même entretien : « C’est sans doute là que j’ai vu mes premiers films de vampires, notamment ceux de la Hammer, avec Peter Cushing et Christopher Lee. J’ai ensuite découvert le Nosferatu de Murnau. Et plus tard le Vampyr de Dreyer. » (1)

 

 

Il y a surtout la bande son, composée par Jarmush lui-même, à laquelle le film doit son ambiance dandy et mélancolique pour une très large part, l’ enveloppant d’un halo parfois triste et inquiétant. Adam (Tom Hiddleston) vit, lui, à Detroit dans un loft entièrement consacré à la musique. Enceintes, tables de mixages, instruments magnifiques constituent son univers. La séquence ou ce dernier se fait livrer quelques somptueux spécimens de guitares électriques montre bien tout l’amour de Jarmusch pour ce symbole parfait, s’il en est, du rock’n roll. Il y a aussi la voix sublime de Yasmina Hamdan surprise par les deux amants dans un bar, au détour d’une venelle de Tanger. Les déambulations du couple que se soit dans les grandes artères abandonnées de Detroit ou par les ruelles marocaines sont les moments primordiaux du film car elles définissent à elles seules son climat. Les travelling en contre-plongée sur les immeubles à l’abandon de Detroit nous rappellent le filmage des façades de la Nouvelle Orléans de Down by Law (1986). Mais au-delà de l’élégance de ces amants immortels flânant dans un décor déserté par les humains, il y a l’acte de foi d’un artiste qui veut croire toujours à la poésie, à la musique et in fine au cinéma. Trente ans après ses jeunes années passées au cœur de l’underground new-yorkais qui vouait le commerce aux gémonies, il affirme, en dépit de la marchandisation générale de la culture, son désir toujours viscéral d’indépendance comme son besoin d’échapper le plus possible aux diktats du business, afin de laisser libre cours à sa liberté créatrice et à ce qui a constitué sa formation radicale : l’éclectisme.
 

(1) Télérama 07/02/2014 Jim Jarmush : « La musique est la source de mes films, la forme artistique la plus pure »

Titre original : Only Lovers Left Alive

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Durée : 123 mn


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