Comment dire : Nine se laisse voir sans déplaisir, sans même trop d’ennui, mais voir au seul sens où les motifs qui le constituent (un défilé d’actrices, de décors, de costumes, de numéros 100% Cabaret) n’exigent au fond pas davantage que leur immédiate identification. Telle actrice chante plutôt pas mal, une autre surprend par son sens insoupçonné de la contorsion, une autre encore par sa réelle aisance dans le contre-emploi (Fergie)… Mais au-delà de cette seule évaluation des performances, ne reste pas grand chose à se mettre sous la dent du strict point de vue « dramaturgique », disons. Là où l’outrance fellinienne faisait quasi immédiatement adhérer à la contiguïté des paradoxes de toute figure, accepter sans réserve le voisinage parfois grossier d’états ô combien contradictoires, celle de Marshall souffre de rien moins qu’une assez notable absence de « vision » personnelle sur ce qu’il filme.
Nine n’est ainsi guère plus que la compilation de ses moyens, le bout à bout assez informe de numéros un peu solitaires, n’appelant à nulle autre admiration que celle d’une éternelle audace sans doute constitutive de toute véritable star féminine de cinéma. Aussi, de Pénélope Cruz, faudra-t-il pour se faire une réelle idée de la grande actrice qu’elle est bien désormais (re)voir le mésestimé Étreintes brisées d’Almodovár, beau film dont la morale – antithèse parfaite de Nine en ce sens – n’est autre que : ne faisons pas tout un plat des images, leur sens, leur éclat, contentons nous de les prendre pour ce qu’elles sont, une bonne fois pour toutes, ni plus ni moins. Un hymne à la déflation, en quelque sorte. Grandeur de la Cruz chez Almodovár : n’être jamais aussi juste que dans les coulisses, dans la vie, lors des quelques scènes lui faisant partager incognito le bonheur d’un amour mutuel sous-exposé.
Mais à la rigueur, contrer Nine par la mise en avant d’un tout autre cinéma, grandissant de film en film par la reprise critique – sans aucune forme de déni de son art premier – de ses figures maîtresses (souvenons-nous qu’Almodovár fut longtemps un modèle dans la catégorie du cinéma purement « visuel »), aboutissant à une nudité des images tout simplement bouleversante, ne saurait suffire à en pointer la plus profonde limite. Ce qu’il faut dire, c’est que Rob Marshall n’est tout simplement pas un cinéaste, au sens le plus factuel du terme. Que lui importe moins, dans l’adaptation sur grand écran des plus grandes comédies musicales de Broadway, l’appropriation d’un nouveau langage (plus suggestif, moins exclusivement frontal) que le pari de leur extension grossièrement « publicitaire ».