Ne touchez pas la hache

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Les parquets des grandes demeures parisiennes craquent sous les pas de l´aristocratie. Les portes grinçantes s´ouvrent puis se referment. Le tic-tac des pendules retentit. Les sabots des chevaux résonnent sur le pavé. Les bals se succèdent et se ressemblent. Toutes ces nombreuses sonorités éveillent notre attention et décrivent à elles seules le Paris de la […]

Les parquets des grandes demeures parisiennes craquent sous les pas de l´aristocratie. Les portes grinçantes s´ouvrent puis se referment. Le tic-tac des pendules retentit. Les sabots des chevaux résonnent sur le pavé. Les bals se succèdent et se ressemblent. Toutes ces nombreuses sonorités éveillent notre attention et décrivent à elles seules le Paris de la Restauration vu, et entendu, par Jacques Rivette.

Dans ce ballet version début XIXème évoluent les corps de la Duchesse de Langeais et du Général de Montriveau. Retrouver Jeanne Balibar, déjà dirigée par Jacques Rivette dans Va savoir, constitue un grand plaisir. Gracieuse, toute en douceur et écorchée vive à la fois, elle retranscrit subtilement le caractère à fleur de peau de cette Duchesse. Quant à Guillaume Depardieu, nouveau venu dans l´univers du réalisateur, son interprétation du Général, personnage torturé, est tout simplement sèche et forte.

Adapté d´une oeuvre d´Honoré de Balzac (Rivette avait déjà côtoyé l´univers balzacien dans Out1 : Noli me tangere et La Belle Noiseuse), Ne touchez pas la hache est en réalité le titre originel de la nouvelle de Balzac, connue aujourd´hui sous le nom de La Duchesse de Langeais. Cette phrase du texte est reprise par Montriveau lorsque celui-ci raconte une anecdote londonienne à la Duchesse. L´histoire est celle du gardien de Westminster qui, à l´encontre d´un visiteur curieux, s´est écrié << Ne touchez pas la hache ! >> en parlant de la lame qui avait servie à décapiter Charles Ier. La mise en garde est désormais faite, le jeu prend alors une nouvelle tournure.

Le jeu, c´est ce face-à-face que nous offrent les deux personnages principaux, s´appuyant sur de très nombreux chassés-croisés, faisant ainsi du temps l´élément principal du film. Son rôle est ici primordial et tout tourne autour de lui. Chacun des personnages, sans le savoir, dépend du temps et réalise qu´il arrive toujours trop tard. C´est lui qui rythme la danse et découpe le récit en trois parties où celle du milieu n´est qu´un long flash-back traduisant cet amour-haine qui anime la Duchesse et le Général, les menant à leur perte.

La Duchesse, soumise aux lois de l´aristocratie, défend son principe consistant à sauver les apparences. Dans ce monde, le << paraître >> passe avant tout. Avant l´amour et les sentiments. Et à travers cette danse amoureuse transparaît alors une peinture politique de la société de l´époque. Par l´oeil de Jacques Rivette et les mots d´Honoré de Balzac (le film reste très fidèle au texte), c´est l´univers aristocratique – en la personne de la Duchesse – qui est mis à mal. Les deux auteurs le décrivent basé sur l´hypocrisie, la bienséance, les faux-semblants et leur critique passe par le biais de Montriveau qui n´adhère pas à ce monde et ne souhaite pas en faire partie. C´est d´ailleurs derrière ces bonnes manières, puis derrière la religion, que va se retrancher Antoinette pour se refuser à Armand. Ce dernier, qui ne peut comprendre, décide alors à son tour d´ignorer son aimée.

Le récit devient ainsi peu à peu un duel passionné, un duel d´amour, porté par la beauté des lettres. Il s´emplit des thèmes rivettiens lui donnant encore plus de force et de sens. La théorie du complot est présente tout comme ses histoires à tiroirs qui n´en finissent pas de s´ouvrir sur une idée pour se refermer sur une autre. Le côté théâtral, qui n´est pas sans nous rappeller Va savoir, est aussi là, particulièrement dans la mise en scène qui découpe le film en plusieurs saynètes ponctuées de courtes phrases blanches sur fond noir faisant office de didascalies et donnant de l´ampleur au récit.

Rivette nous livre avec son dernier film une merveilleuse adaptation de la nouvelle de Balzac. Son monde sonne juste. Le rythme saccadé traduit la tension réelle et palpable qui existe entre la Duchesse de Langeais et le Général de Montriveau. Ces derniers jouent, l´un comme l´autre, un jeu terriblement dangereux, qui leur échappe et qu´ils finissent par ne plus pouvoir contrôler.

Cette histoire, c´est en réalité une séparation de chaque instant.


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