Mundane History

Article écrit par

Pour son premier long métrage, la jeune Anocha Suwichakornpong, émule d’Apichatpong Weerasethakul, nous offre un film très thaï, sorte de chaos calme et psychédélique envoûtant.

Il est des films coup de cœur, des films poignards, des films tendance. Des films qui ne ressemblent à rien d’autre, qui se donnent dans leur magie et leur mystère. Mundane History fait partie de cette dernière catégorie. Si l’on sait que "mundane" veut dire ordinaire ou quelconque, alors on pourrait dire que ce film raconte une histoire ordinaire, celle de la rencontre entre deux jeunes gens que rien ne prédisposait à cela : un jeune homme d’excellente famille, cloué dans son lit et sa chaise roulante suite à un accident, et le jeune infirmier qui va prendre soin de lui dans une maison austère gardée par un père sévère et froid et des domestiques présents/absents. Réalisé par Anocha Suwichakornpong, à qui l’on doit le très remarqué court métrage Graceland à Cannes en 2006, la jeune femme s’impose dans la nouvelle génération d’un cinéma thaïlandais qui pourtant couronné dans le monde entier et dans de nombreux festivals, n’a pas encore trouvé sa place en Thaïlande – tout comme le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul dont le film, Oncle Boonmee (Palme d’Or à Cannes en 2010), n’avait été projeté que dans une seule salle de Bangkok.

Le grand réalisateur se serait d’ailleurs lui-même extasié devant Mundane History, allant jusqu’à déclarer : « Anocha a réalisé plusieurs films aussi délicats qu’audacieux. Son Mundane History m’a laissé un sentiment d’étrangeté. Je suis un grand admirateur. » Nous aussi, et même plus encore que pour le cinéma du jeune maître thaïlandais, sans doute parce qu’il y a plus de féminité, de grâce et de douleur dans ce long métrage. Il s’agit en fait un peu de la même école, et on pourrait même aller jusqu’à dire que Mundane History, les revenants et la jungle en moins, procède presque du même imaginaire que Tropical Malady (2004). Anocha et Apichatpong se sont d’ailleurs associés récemment pour produire le premier long métrage de leur monteur commun, Lee Chatametikool, et Anocha se prépare, de son côté, toujours avec la même coproduction, à réaliser son deuxième long métrage, By the Time it Gets Dark, qu’on présente comme le pendant féminin de Mundane History.
 
 

Pris dans une sorte de zone de turbulences, le spectateur ne pourra pas rester indifférent devant ce film très thaï, épicé et curieux, proche de la nature toujours un peu sauvage – il n’est que de voir le vent dans les arbres tropicaux du jardin, toujours en mouvement inquiétant – et des humains mystérieux – il n’est que d’écouter les non-dits des personnages secondaires comme les employées de maison ou le silence pesant du père qui vaut tout un discours. Le montage du film, dû à Lee Chatametikool, est aussi très étrange : nous voici baladés entre présent, passé et futur sans aucune indication scénaristique, si bien qu’on verra à un moment Ake, pourtant paralysé, dévaler les escaliers en sautillant. Est-ce avant l’accident, ou est-ce une métaphore de l’envol que lui procurerait la présence de Pun, le jeune infirmier, le seul à s’intéresser à lui ? En effet, au niveau des personnages du film, tous sont en attente d’un avenir meilleur, ou encore dans l’abandon des rêves secrets de l’enfance. Ainsi Ake voulait devenir écrivain, Pun comme par hasard cinéaste, la cuisinière ne sachant elle pas encore si elle sera encore longtemps au service de la famille.

Nous sommes dans le doute, au bord du gouffre de la mort, pris dans une philosophie bouddhiste de la réincarnation et de l’éternel retour. Ceci est très sensible durant tout le film : ainsi à leur retour du planétarium, les deux protagonistes ne vont plus voir le monde de la même façon. Celui-ci ressemble alors de plus en plus à de la matière en fusion, au bord du Big Bang comme pour nous signifier que tout passe, tout évolue et que le monde est en perpétuelle construction/destruction, comme un immense mandala. Sans doute en hommage à Stanley Kubrick, le film se termine par la naissance d’un bébé, la vie et la mort sont imbriquées. Film réflexion, film politique car cette histoire pourrait aussi bien être une métaphore de la situation actuelle de la Thaïlande, film métaphysique, film indé. Toutes les pistes sont ouvertes, mais le film ne laissera personne indifférent : attention talent.

Titre original : Jao Nok Krajok

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 82 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…