Morituri

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Morituri est un film algérien. Par le biais de la fiction et de l´art, ce film tente de dégager un message politique contre le système algérien. Les premiers plans du film, des immeubles dans lesquels règnent insalubrité et pauvreté, résonnent comme des balises pour la suite du film : celui-ci n´est pas un documentaire mais […]

Morituri est un film algérien. Par le biais de la fiction et de l´art, ce film tente de dégager un message politique contre le système algérien. Les premiers plans du film, des immeubles dans lesquels règnent insalubrité et pauvreté, résonnent comme des balises pour la suite du film : celui-ci n´est pas un documentaire mais il révèle la vérité d´un système complètement corrompu. Ces premiers plans ne sont pas sans rappeler les premiers instants de Muriel, ou le temps d´un retour de Alain Resnais, qui se veulent à la fois une métaphore des décharges de balles en plein combat et une mise en abyme du processus de narration du film : la fragmentation.

Le réel se veut un monde de vipères et de monstres qui n´a nul besoin de détournements fantastiques pour parvenir à l´horreur : les plans en ruine après un attentat près du commissariat suffisent. La jeunesse des terroristes accentue l´effroi et la peine d´un pays qui se saigne à blanc, ne laissant pas sa jeunesse grandir dans la quiétude et l´accalmie. La terreur est au coeur même de ce qui est vécu et déchiré par la folie des hommes. Le monde nous est laissé avec ses excès de haine, de violence mais aussi d´humour. Le commissaire Llob, la cinquantaine grisonnante, assez charismatique, écrivain à ses heures perdues, est un redoutable manieur de mot, mais ses persiflages et sa verve restent, malgré tout, dérisoires face à sa situation d´agent de l´autorité obéissant à des pontes ou politiciens véreux. Les requêtes privées appuient l´idée, jusque là très bien traitée, du film : la perte d´un système, l´anarchie, la question de l´identité nationale. Qu´est-ce qu´être algérien aujourd´hui ? Se reconnaissent-ils parmi eux ? Les avantages sont toujours réservés à la même catégorie de personnes : ainsi, le commissaire Llob dira que << jamais une barbe d´intégriste n´a effleuré ces mimosas. >> On retrouve cette ironie, ce jeu avec les mots dans le nom d´un intégriste : Abou Kalypse… manière détournée de parler de l´apocalypse…

Cependant, le film, malgré des qualités certaines comme sa musique ou le jeu à la fois en caractère et en finesse de Miloud Khetib (le commissaire Llob), est inégal : il construit malgré lui un double rythme, avec un goût de la rupture qui alourdit son propos et brise malheureusement la fluidité du montage et la linéarité des dialogues. Ces cassures de la matière filmique (quand les personnages parlent algérien puis français ; quand un plan est coupé par un insert sur un gros plan d´un personnage) détruisent l´élan du film qui parvient pourtant à happer avec facilité le spectateur. Le bilinguisme est une erreur car lorsque les acteurs parlent français, ils s´appliquent à bien prononcer et se figent dans un hiératisme pesant. Lorsqu´ils parlent algérien, au contraire, leur principale préoccupation est d´occuper l´espace, de vibrer dans le plan, de participer et de créer. Cette scission brutale fait déjouer le film. Il s´annule par lui-même par un souci de trop-plein : la volonté de travailler le détail (?) avec ces plans contribue immanquablement à gêner le spectateur dans l´identification avec les personnages. L´action a peut-être plusieurs fronts mais le trop-plein d´action tue l´action, étouffe ce qui a été préalablement construit, et les plans font malheureusement obstacle au transport de l´action.

L´autre fait marquant qui annihile toute possibilité de réception totale du film réside dans l´américanisation des caractères de certains personnages : le second de Llob est un jeune agent impétueux. Cet homme qui provient des paras et qui viendra aider Llob garde tout le temps ses lunettes de soleil ; le commissaire a immanquablement des problèmes avec son supérieur… Le traitement de Morituri n´a malheureusement pas d´originalité alors que les attentats en Algérie nécessitaient un traitement esthétique propre à ce drame. C´est là le principal échec du film : le réalisateur n´a pas trouvé la forme artistique pour traiter une réalité historique, son seul recours étant une mise en scène des clichés rappelant celle des films policiers américains. Or le film pose, en face des réalités, une vérité anthropologique de l´Algérie : quelle est-elle ? Qui sont ses enfants ? Comme il a été mentionné plus haut, le film pose la question de l´identité. Dès lors, il est dommage que le traitement esthétique du film promeuve l´Algérie de façon détournée au travers d´iconographies policières américaines. Si les films américains sont des références pour le réalisateur, c´est leur contenu idéologique qui a été, semble t-il, mal utilisé par Okacha Touita.

On ne peut qu´être déçu par Morituri car il promettait beaucoup. Il est simplement dommage que le traitement américanisé du film par le réalisateur prétende reproduire artistiquement les codes d´un cinéma et d´un système complètement opposé au système américain ; le film est, semble t-il, coupable de faire de l´Algérie une << Algérique >> agonisante, malheureusement sans identité.

Titre original : Morituri

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Durée : 116 mn


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