Money

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La couleur de l’argent.

Money porte, d’un premier abord, bien son nom. Sur le canevas en damier du film de Gela Babluani, l’argent avance ses pions, modifie les trajectoires des personnages : un homme d’Etat sur le point de se pendre, se sentant perdu dans une affaire, retrouvera le goût de vivre mené par un retournement de situation qui pourrait l’enrichir ; un jeune homme aux yeux plus gros que le ventre perdra beaucoup pour avoir voulu posséder davantage de billets de banque…Dans ce long métrage qui emprunte les codes du film noir, l’argent est ou devient le moteur de toute chose, de chaque classe sociale, et réunit des gens a priori non réunissables. Un tel rôle accordé à l’argent aurait tôt fait de l’ériger en personnification des dynamiques à l’œuvre chez l’humain. Heureusement, le film, grâce à d’autres dés lancés, échappe en partie à cette réduction facile et cynique et l’argent apparaît finalement surtout comme le mobile du film de genre que se propose d’être Money.
 

Mine d’or près d’un bar tabac

Lorsque Alex (Charlotte van Bervesselès) aperçoit une valise remplie de billets en millions dans une voiture (dans un assez amusant et évasif raccord de plan) en face du bar-tabac d’une bourgade déserte et morne, elle en parle à son frère Eric (Vincent Rottiers) et tous deux, avec leur ami Danis (George Babluani), se mettent à échafauder un plan en vue de récupérer cette mallette aux mains d’un homme d’Etat important, Mercier (Louis-Do de Lencquesaing), dont ils ne découvriront l’identité que plus tard. Gela Babluani dresse son scénario de thriller dans un paysage français qui oscille entre le bar-tabac PMU au bord d’un petit chemin, tel que pourrait le prendre en photographie Raymond Depardon, et la demeure cossue et austère de Mercier. Ces deux confrontations sociales, chacune avec leurs caractéristiques poussées (les tons sombres et onéreux de l’intérieur de la maison de Mercier, retranché dans sa propriété, son armure de chevalier dans un coin de la pièce, la cheminée, …), plantent le décor de ce film à la mise en scène artisanale, réduite au salon de Mercier, au bar, et à quelques nœuds de routes et de pâles pavillons de certains coins de la région parisienne, puis de la Normandie, du côté d’Yvetot.


De l’inquiétant au grotesque

C’est grâce à ce décor, à l’utilisation de son atmosphère, que le réalisateur tire son épingle du jeu, rendant son long métrage tour à tour inquiétant et grotesque, avec son âme patibulaire constante, dès le début, lorsque Mercier, allure d’homme en col blanc, rejoint dans le bar, les mafieux du coin. Chacun alors semble dans la figure exagérée de son rôle, un raillement narquois pourrait servir de sous-titre à certaines séquences. Benoît Magimel, l’homme de main de Mercier qui n’apparaîtra que dans la dernière partie du film, symptomatise cette étrangeté de l’oeuvre qui vire au grotesque, dans son costume et ses grosses lunettes, presque sinistre. Tout paraît louche et parfois au bord du ridicule dans Money. Le film résiste-t-il au basculement d’un registre à un autre ? Là encore, la réponse est floue. La présence d’acteurs du cinéma pluôt discrets mais très expressifs et typés, comme Louis-Do de Lencquesaing ou Olivier Rabourdin, vient donner du relief au film, qui repose beaucoup sur leur belle incarnation (d’autant plus avec certaines approximations, comme par exemple dans le jeu plus aléatoire du trio de jeunes). Thriller en mode mineur, tout au long d’une nuit, dans un éclairage glauque, Money emporte ses touches d’amateuristme comme ses qualités avec lui, dans un dernier plan, louche et/ ou drôle, qui vient clôre ce récit inégal mais aux touches insolites, en forme de fait divers.

Titre original : Money

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Durée : 100 mn


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