Moi, Daniel Blake

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Palme d´or au dernier festival de Cannes, « Moi, Daniel Blake » est d´une beauté inégalée.

C’est la deuxième Palme d’or pour Ken Loach, le réalisateur britannique de 80 ans. Doublement palmé, tout comme Michael Haneke, Francis Ford Coppola ou encore les frères Dardenne, Ken Loach prouve encore une fois avec ce grand film son engagement, sa dévotion envers le peuple ainsi que son talent pour comprendre les problèmes de la société de notre époque. C’était notre coup de cœur pendant le festival, ça le reste cette semaine pour sa sortie en salles.

Un film engagé et sincère

Contrairement au Vent se lève, sa première Palme d’Or il y a 10 ans, le réalisateur évoque cette fois-ci l’histoire intimiste d’un menuisier anglais de 59 ans, contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Son destin croise celui d’une jeune mère célibataire, qui fait face elle aussi à un système administratif injuste ; une femme pour laquelle Daniel va se surpasser en générosité, attentions et entraide. Alors que Ken Loach avait annoncé que Jimmy’s Hall, sorti en 2014, serait son dernier film, le voilà plus en forme que jamais pour Moi, Daniel Blake, un film engagé et sincère.

À en croire la confession de sa productrice Rebecca O’Brien, le réalisateur n’ayant pas eu les fonds nécessaires, s’est vu réaliser un long métrage brut, sans fioritures ni effets de style surpassant le scénario. Ici, l’histoire d’un homme qui se bat, qui lutte est mise en lumière du début à la fin par sa personnalité, ses sentiments forts et nobles, à l’image d’une réalité partagée par de nombreux citoyens britanniques. À la différence du documentaire, la fiction prend le parti de raconter une histoire, avec des sentiments, comme sait si bien le faire Ken Loach.

 

 

Une précarité pour tout, sauf pour les sentiments

La force du film, au-delà de son ancrage dans le réel, est de placer les sentiments au centre de l’histoire. Qu’ils soient ceux d’une injustice, d’un amour maternel, d’une amitié naissante, ils sont très présents dans Moi, Daniel Blake, au point de nous arracher des larmes. La force du cinéma est de porter un regard sur notre société. Ken Loach l’a compris avec brio, c’est pourquoi à sa manière et avec son histoire, le réalisateur se saisit de ce qu’il voit pour en montrer sa propre vision, en faire son propre jugement. La classe ouvrière, les « petites » gens, les pauvres, les parents célibataires, n’ont pas grand-hose mais ils sont riches en sentiments. Et grâce à cette force, tout peut changer. Moi, Daniel Blake a cette puissance, cet espoir, cette matière à la discussion et la réflexion que l’on attend en sortant d’une salle obscure.

Un casting épatant

Dans le rôle principal, Ken Loach a choisi un humoriste d’origine ouvrière, Dave Johns. Presque 60 ans, le crâne un peu dégarni, le regard gentil, ce Daniel Blake est aussi attachant que déterminé. Non sans humour british, il joue à la perfection ce menuisier que l’on empêche de parler, que l’on refuse d’entendre. Et c’est pourtant sa voix qui va résonner tout au long du film, celle d’un homme qui n’a peut-être plus la force physique pour travailler mais qui n’en garde pas moins sa dignité. Sur son chemin, il croise une jeune mère incarnée par l’actrice Hayley Squires, copie conforme de la chanteuse Lily Allen, éblouissante de talent. Ce duo improbable marque la force de Ken Loach metteur en scène et directeur d’acteurs. On se laisse entraîner dans leurs vies, qu’elles soient tristes ou difficiles, sans les juger ou les condamner.

Une Palme d’or à Cannes ne signifie pas un succès dans nos salles. Mais avec ce film, on s’attend au meilleur, tant sa beauté et la combinaison entre son casting, sa mise en scène et son scénario sont une réussite.

Titre original : Moi, Daniel Blake

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Durée : 109 mn


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