René Clair s’est toujours intéressé au genre fantastique. Durant les quatre années passées à Londres de 1934 à 1938, il réalisa Fantôme à vendre (1935), comédie fantastique avec Robert Donat qui fut un grand succès. De retour en France à partir de 1938, le cinéaste choisit ensuite de fuir la guerre dès octobre 1940 et de s’exiler aux Etats-Unis.
A cette époque, René Clair a déjà acquis une grande renommée et nombreux sont les producteurs à l’attendre là-bas. Clair va devoir composer avec les exigences des studios américains. Lui qui écrivait seul le scénario de ses films va devoir soumettre sa qualité d’auteur français à d’autres histoires, d’autres scénaristes. Il s’adapte confortablement au système américain et va réaliser, le temps que dure la guerre, quatre films dont Ma femme est une sorcière, C’est arrivé demain et Dix Petits Indiens, qui connaîtront un immense succès. Retour sur le deuxième film de cette période américaine, réalisé sous l’égide de la Paramount.
L’amour en un panoramique
Et quel corps ! Ni plus ni moins que le corps fin et gracieux de Veronica Lake. Et cette mèche, pas si rebelle, qui vient lui cacher l’oeil droit, camoufle-t-elle un ange ou une sorcière ? C’est évident, le commun des mortels ne peut pas rester indifférent à cette ensorceleuse. C’est le cas de Wallace Wooley, lointain descendant du vieux Jonathan. Et comme les coïncidences sont ce qu’elles sont, alors que son ancêtre a fait disparaître Jennifer par le feu, en la faisant brûler vive, Wallace, lui, va la sauver d’un incendie. A l’instar de l’âme de Jenifer, l’amour, lui aussi, va renaître de ses cendres. La comédie fantastique devient aussi comédie amoureuse quand Jennifer tente de faire tout ce qui est en son pouvoir, et c’est le cas de le dire, pour que Wallace tombe amoureux d’elle. La tache s’avère être plus délicate qu’elle n’en a eu l’air et Jennifer va se prendre à son propre jeu. Ses pouvoirs magiques auront raison d’elle et son breuvage ne fera tomber personne amoureux, sinon elle-même. Ce sont plutôt l’air mutin et l’insistance attirante de la belle qui feront leurs effets. L’amour naissant est mis en scène de manière drôle et singulière. Le plan commence sur Jennifer et Wallace, ce dernier essayant encore de la faire partir de chez lui. S’ensuit un panoramique qui vient alors cadrer l’horloge dont les aiguilles avancent alors en accéléré, ellipsant toute une nuit. Et puis, un autre panoramique nous fait revenir à notre plan initial. Mais cette fois-ci, on retrouve Wallace aux pieds de Jennifer, fou amoureux. Un moment si bref et efficace qu’il en est impeccable.
Une fois toutes ces choses installées, le rythme du film semble alors lui aussi pris d’une malédiction et paraît bien trop court pour traiter de la contenance de chaque personnage. On a trop peu de temps pour s’attacher à eux, pour comprendre leurs revirements. On a envie que certains moments qui nous font sourire soient plus aboutis, comme les essais, infructueux, de Jennifer pour devenir une bonne ménagère au lieu d’une sorcière. Le personnage du père, aussi, maléfique et indéniablement comique, paraît un brin sous-exploité. Ou alors, encore, ce thème fabuleux qui fait du contrepouvoir un ingrédient piquant de la relation entre Jennifer et Wallace. Elle détient les pouvoirs de la sorcellerie, magiques. Pris dans sa campagne, il cherche à accéder à toujours plus de pouvoir politique. L’un et l’autre vont perdre ce semblant de puissance à cause de leur amour, improbable et marginal. Ils vont, pour finir, continuer à vivre grâce, peut-être, au plus beau des pouvoirs : l’amour du commun des mortels.