Love and bruises

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Lou Ye filme l’amour à mort dans un Paris hostile. Sombre et puissant.

Ca parle d’amour, encore. Mais d’amour tourmenté, ravageur, destructeur. L’amour qui laisse des bleus, au corps, à l’âme. D’un côté, Mathieu (Tahar Rahim), jeune ouvrier grande gueule, un rien misogyne ; de l’autre, Hua (Corinne Yam), étudiante-professeur chinoise à l’université de Nanterre, à Paris pour quelques temps. La première fois qu’ils se croisent, dans le quartier chinois de Belleville, ils se cognent, littéralement : le tube de PVC qu’il transporte heurte son crâne à elle, violemment. Elle chancèle, vacille, poursuit son chemin. Il la rattrape, s’excuse, obtient son numéro de téléphone, la rappelle dans la foulée. Tout va très vite, ils dînent ensemble, baisent sur un chantier derrière la gare, brutalement, parce qu’il lui a "offert le repas". Ainsi commence leur histoire, pas vraiment dans la douceur. Plutôt dans le feu : la passion est instantanée, incandescente.

Après Une jeunesse chinoise et Nuits d’ivresse printanière, Lou Ye, toujours censuré dans son pays, poursuit son exploration de l’amour torturé, à Paris cette fois, peut-être pour échapper à la clandestinité du tournage et de l’exportation du film. Adapté d’un roman ayant fait scandale et interdit en Chine (Fleur, de Jie Liu-Falin, avec qui le réalisateur a co-écrit le scénario), Love and bruises aborde la relation amoureuse du point de vue de l’intuition. Du passé de Mathieu et Hua, on ne saura rien ; de leurs motivations pour se jeter à corps perdus dans une histoire destructrice, non plus. Seul compte le présent, l’instant. Dans un entretien accordé à Libération en avril 2007, Lou Ye qualifiait l’amour d’ "état irrationnel, occasionnel, que la philisophie n’a jamais pu expliquer", ajoutant qu’ "on y entre pour un moment ou un peu plus, c’est toujours un fracas".

Love and bruises en est la plus parfaite illustration. Mathieu et Hua naviguent à vue, bien incapables d’expliquer ce qui cimente leur relation, mais avec une furieuse envie d’y croire. L’un et l’autre gardent une part de mystère, leurs rapports s’instaurent autour de non-dits. Hua apprend par hasard que Mathieu est marié, un mariage blanc. Lui tombe des nues quand elle lui annonce, tout d’un coup, qu’elle repart en Chine le lendemain. Ils sont un couple, mais ne semblent pas maîtriser les codes de la communication à deux, emmurés dans leurs convictions et une conception différente de la vie ensemble. Pour mieux les capter, Lou Ye semble ne rien avoir planifié, prémédité. Love and bruises est tourné à l’épaule, au ras des trottoirs sales des quartiers populaires de Paris, tremble comme ses personnages tremblent, retranscrit bien leurs hésitations – et on y croit.

On avait peur que Love and bruises ne participe d’une volonté d’exotisme ; qu’il ne s’agisse que d’un caprice de réalisateur de tourner ailleurs. Il n’en est rien. Le film a la même puissance émotionnelle qu’Une jeunesse chinoise, grâce à un montage nerveux, faisant naître une tension constante, heureusement entrecoupée de vrais moments de respiration. Love and bruises est souvent suffocant, ne fait pas la part belle à l’optimisme, mais prend le temps d’accompagner ses personnages, leur ménage des moments d’accalmie. Surtout, il aborde de manière frontale les écueils parfois provoquées par les différences culturelles dans la relation amoureuse, sans jamais tenter ni de les expliquer, ni de les aplanir. Face à Mathieu, parfois brusque, qui parle beaucoup, agit, Hua est souvent grave et silencieuse. Ils s’écoutent mais ne s’entendent pas toujours ; lui sanguin, d’une occidentalité presque latine, elle posée, très asiatique dans sa mesure. Ils ont pour eux l’attirance, mais pas tous les codes.

Alors ils se déchirent, se séparent, se retrouvent, tentent d’y comprendre quelque chose. Nous aussi, on a parfois du mal à comprendre ce qui se passe, à accepter les menues humiliations quotidiennes qu’accepte elle-même Hua, à approuver les décisions de Mathieu. Love and bruises n’est pas à proprement parler un film aimable : il est trop brut, trop intense pour procurer un véritable plaisir de spectateur. Mais c’est du cinéma qui vit. Nuits d’ivresse printanière, le précédent long-métrage de Lou Ye, était plus doux, plus en empathie avec ses personnages. Plus inerte, aussi. Love and bruises est précisément l’inverse : tout dans l’action, il file à toute vitesse dans un refus constant de psychologisme. Et serre souvent le coeur. Beau film.

Titre original : Love and Bruises

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Durée : 105 mn


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