Livre « Paul Verhoeven. À l’oeil nu » Entretien avec Emmanuel Burdeau

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Les éditions Capricci, spécialisées dans les ouvrages de cinéma, nous gratifient d’un entretien exclusif avec le géant hollandais Paul Verhoeven.

 Menée par Emmanuel Burdeau, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma et depuis longtemps aguerri à l’exercice de l’interview (il a déjà mené de nombreux entretiens avec des personnalités majeures, pour ne citer que les plus célèbres : Monte Hellman, Judd Apatow ou Werner Herzog), cette rencontre permet de percer à jour certains secrets et fulgurances du cinéaste.

Le livre se partage en deux parties distinctes : un essai d’Emmanuel Burdeau d’une quarantaine de pages donnant une vue d’ensemble sur l’œuvre de Paul Verhoeven, et l’entretien à proprement parler, divisé en huit chapitres, et dont la chronologie évoque les grandes étapes de la carrière du réalisateur. L’essai, tout d’abord, embrasse l’ensemble de la filmographie de Verhoeven, mais l’aborde sous l’angle bien personnel de son auteur. Partant de ses sensations originelles de spectateur, d’images troublantes ou de photogrammes qu’il n’oubliera jamais, Burdeau décante les motifs, les influences et les obsessions du cinéaste, en vue d’en dégager la ligne claire de son cinéma. Le réalisateur de Basic Instinct (1992), de Spetters (1980) et de Robocop (1987) semble en effet avoir quelque affinité avec un organe – intitulé du livre oblige – ; l’œil.

Le fait de voir, de tout voir, au point d’user des pouvoirs de la caméra pour voir encore davantage que ce qu’un humain serait censé voir. En outre, chez Verhoeven, il n’y a pas de hors-champ, il n’y a pas d’érotique de mise en scène ou de dévoilement érotique à proprement parler, il n’y a rien à cacher ni à demi-voilé ; tout est visible, tout est nu. En regard de son dernier film hollywoodien (Hollow Man – 2000), où Verhoeven explore à sa manière le mythe de l’homme invisible, cette obsession du voir se confronte enfin à une thématique contradictoire (l’invisibilité), mais se révèle cinématographiquement passionnante.

Après cette mise en bouche analytique où l’auteur du livre a lui même déshabillé, à sa manière, Paul Verhoeven, place à l’entretien direct cette fois-ci, enregistré en avril 2016 à la Haye. Intéressante transition que ce passage entre la prose précise, exigeante et essentiellement interprétative d’Emmanuel Burdeau, et la formulation soudaine d’un questionnaire sans fioriture, et sans posture psychanalysante aucune. C’est à n’en pas douter un choix raisonnable, tant Verhoeven se révèle à l’image de ses films ; littéral. Ses réponses surprennent parfois par leur simplicité et leur évidence. A l’image de son cinéma « à poils », l’homme n’a cure de l’ornement et de l’idéologie. Qu’il soit question de ses débuts de carrière en Hollande, de son service militaire ou de ses études à Paris, de son accès au prestigieux Director’s Cut ou la dégringolade de sa carrière américaine, ou bien encore son rapport à ses équipes – comédiens, producteurs et nombreux scénaristes –, le réalisateur formule des réponses claires, plutôt brèves, et étrangement sans détours. Sans nier la présence de vieilles cicatrices, l’homme ne manifeste aucune aversion envers les collaborateurs qui l’ont, semble-t-il, roulé dans la farine. Au contraire, une espièglerie et une énergie débordante transparaissent dans ses mots. D’ailleurs, de nombreuses parenthèses ajoutées par Emmanuel Burdeau suggèrent qu’il rit beaucoup. Il réside là une grande leçon de sagesse pour tout réalisateur en herbe ; le discours d’un Paul Verhoeven que les déboires n’ont jamais pu entraver, ni couler, preuve indéniable que l’œuvre demeure sincère, car le cinéma s’inscrit naturellement dans la prolongation de ses mots ; une forme de vitalisme au cœur des ténèbres, une vision tourmentée et cynique de la nature humaine, mais toujours avec le sourire.

Et puis, il y a les femmes. Loin du féminisme moderne, mais cinéaste tout de même hautement féministe, Verhoeven fait l’aveu d’une supériorité de la femme sur l’homme. Il lui semble plus intéressant de diriger un film dont le personnage principal est une femme que l’inverse, n’hésitant pas à développer sur sa fascination pour les courbes féminines, en particulier les seins, dont la courbure en poire semble focaliser l’œil de sa caméra. A la fois dans l’intelligence et dans l’expérience de sa propre chair, Verhoeven ne nie jamais l’orientation hétérosexuelle de son cinéma, et sa propension à filmer le corps des femmes selon ses propres désirs. Dans le même temps, il est difficile de nier que tous ses portraits féminins font la peinture d’êtres surhumains, de demi-divinités à l’intelligence et à l’instinct hautement développés, dont le pouvoir sur les hommes est total. Filmer des seins, entre autre, c’est aussi une histoire de liberté ; elle s’ancre dans un processus de démythologisation de l’anatomie, leur donnant par ce biais la même place qu’un autre morceau de peau, invitant les femmes à disposer librement de leur corps et de leur sexualité.

Alors d’accord, on se doute que le bon vieux Paul a quelques étincelles dans les yeux à la vue d’une paire de tétons pointés telles des lames vers le ciel. Mais c’est peut-être aussi ce qui définit sa grandeur ; ce coït incessant entre, d’un côté, une vision distante et analytique des forces déterminant les trajectoires du monde, des femmes et des hommes, et de l’autre, la tendresse d’un mortel pour toute vanité rattachée à la chair des mortels.


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