Livre « L’Apocalypse cinéma » de Peter Szendy

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Le philosophe Peter Szendy met en parallèle fin du monde et fin du film dans un livre passionnant sur l’apocalypse au cinéma.

Il paraît qu’on dit maintenant « apo » pour faire court, et qu’il existe aussi un cinéma post-apo et un autre pré-apo. Ce serait à y perdre son latin (de cuisine) si nous n’étions pas secouru in extremis par le philosophe et musicologue Peter Szendy, qui nous offre ici un beau florilège d’intelligence et d’exhausivité sur un genre apocalyptique pullulant dernièrement au cinéma. Si vous n’en aviez pas trop conscience, ce n’est pas la fin du monde annoncée depuis longtemps par les Mayas pour dans quelque deux mois seulement qui vous prouvera le contraire. La fin du monde est inhérente à la condition humaine et l’Apocalypse bien présente dans les textes sacrés, dont notamment celle décrite avec une précision méticuleuse par l’apôtre Saint-Jean. Mais il n’est pas le seul. Depuis l’invention du cinéma, et même depuis l’invention de la philosophie (même si elle s’est inventée elle-même), les prophètes de la fin du monde abondent et font trembler dans les salles obscures et les chaumières.

Notre philosophe, auteur de cet ouvrage qu’il serait de bon ton d’offrir à Noël (si nous sommes encore là et pas gommés à la manière d’un Lars von Trier encore plus cruel), part de 12 films disposés chacun dans un chapitre, séparés au milieu par un temps de réflexion appelé ironiquement « Pause pour inventaire (l’« apo ») » comme une page de pub qui, pour une fois, ne serait pas incongrue mais salutaire pour le bien de notre réflexion. En effet, on ne réfléchit pas assez à l’Apocalypse, peut-être parce que, du coup, on refuserait alors de travailler et de se reproduire. Heureusement, Peter Szendy se penche sur le problème et nous déniche, au passage, pas moins de 75 films apo ou post-apo ou encore pré-apo, sans compter tous les blogs qu’il a pu débusquer au détour de différents sites d’aficionados notamment sur AlloCiné. Certains films s’imposent bien sûr comme Melancholia (Lars Von Trier, 2011), Terminator (James Cameron, 1984) ou Blade Runner (Ridley Scott, 1982) mais d’autres assez inattendus, quoique incontournables sur ce thème, comme Les Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963), Le Conformiste (Bernardo Bertolucci, 1970), Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964) ou encore Dementia (John Parker, 1955). Évidemment, des films comme La Jetée (Chris Marker, 1962), Titanic (James Cameron, 1997) ou Soleil vert (Richard Fleischer, 1973) y ont toute leur place.

C’est dire que ce livre est important dans sa volonté de recension, mais surtout de compréhension d’un genre pas si divertissant que ça en fin de compte. Il n’échappe à personne que tout spectateur ou regardeur de DVD ne fait pas un geste innocent ou purement ludique en choisissant un film apo. C’est un acte métaphysique qui souvent s’ignore et qui, toujours selon l’auteur, convoque Nietzsche ou Heidegger. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a choisi de commencer son ouvrage par un chapitre sur Melancholia, sobrement intitulé "Melancholia, ou l’après-tout", et qui débutant par ces mots que vous n’oublierez jamais, vous donneront envie de continuer votre voyage au bout de la nuit, parce que le cinéma ce n’est finalement que des éclairs lumineux qui déchirent la noirceur profonde dans laquelle nous résidons. Jugez par vous-mêmes ce que l’auteur écrit donc au sujet de Melancholia : « Je suis devant l’écran noir. Dans l’écran noir. J’ai disparu en même temps que la dernière image. Je me suis fondu dans le noir, j’ai explosé moi aussi, mes restes ont été dispersés dans la nuit universelle. Je suis le noir. Je ne suis plus. » (p. 9).

La plus grande et émouvante découverte de ce beau livre, passionnant de surcroît et écrit avec fièvre, c’est, outre le fait de donner des galons à un genre quelquefois méprisé, la mise en abyme proposée et qui s’étend carrément au cinéma lui-même. Melancholia de Lars von Trier est le film apo le plus important, car il constitue une sorte d’hapax. Il se termine par un écran noir qui est lui-même le signe certes de l’anéantissement de l’Univers, mais aussi une métaphore particulièrement intelligente du cinéma. Tout film, et même toute série télévisée, est un monde en soi qui s’autodétruit et passe au noir dès qu’il (elle) se termine. « Chaque fin de chaque film est sans doute la fin d’un monde. Et, en ce sens, le cinéma, après tout, c’est peut-être, chaque fois unique, l’Apocalypse. » (p. 69).

L’Apocalypse cinéma : 2012 et autres fins du monde de Peter Szendy, éditions Capricci, 2012.


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