Assurément, suite à la lecture de Génie de Pixar, petit livre proposant un regard plus biaisé sur les œuvres du studio que celui d’une classique évaluation de chaque production, le visionnage de ces œuvres d’animation se teintera d’une conviction renforcée quant à la profonde amertume cachée par leur fantaisie si pleine. Y apparaît ainsi que l’anthropomorphisme de ces films, à rebours des films de l’ancêtre Disney, est avant tout le lieu de la mise à nu d’une limite : bien que doués de paroles, de psychologie, d’affects, les machines et animaux de chez Pixar n’en restent pas moins contraints à faire face à l’évidence d’une séparation d’avec l’humain, inhérente à leur matière, leur dimension, leur ADN. De cet impossible voisinage, les films les plus fameux firent ainsi leur principal moteur dramaturgique, la superbe série des Toy Story, dont le premier volet fut surtout le premier long métrage – et carton – du studio (sorti en 1995), mais aussi Monstres et compagnie (2002), Le Monde de Némo (2003), Ratatouille (2007) et Wall-E (2008) étant, plus encore que les fruits d’extraordinaires prouesses techniques, de véritables mélodrames, de grandes fictions de l’altérité.
Le Génie de Pixar serait, outre la peu contestable constance qualitative de ses productions, décelable dans l’aptitude avec laquelle ce qui au départ n’était qu’un logiciel informatique destiné à relancer la carrière flottante de Steve Jobs, créateur d’Apple, suite à la perte de sa société, s’avéra au final le miracle d’une alliance entre pure industrie et véritable création : un âge d’or en mode numérique, en somme. Le numérique était sans doute désormais l’horizon le plus prometteur de l’animation, tout du moins américaine (nous avions déjà fait le point sur la question lors de notre retour sur les grandes oeuvres de la dernière décennie, le studio Ghibli apparaissant comme le seul véritable terrain de résistance de l’animation traditionnelle). Au-delà du trait, de la ligne, devait, pour conférer aux nouvelles fables animées une actualité, se poser la question des matières et textures, de leur enchevêtrement (grande affaire de Toy story 3 notamment) comme de leur caractère irréconciliable (Toy Story toujours, mais également la faune de Nemo ou Là-haut, voire Les Indestructibles, où l’héroïsme humain est assujeti à l’adaptation d’un corps aux faveurs chimiques d’un pouvoir).
Guide pratique, Génie de Pixar l’est d’ores et déjà, mû par autant d’adhésion au mythe que de volonté d’en découdre, par la localisation (géographique, culturelle, technologique, l’appartenance mormone de ses deux concepteurs mettant en lumière une réelle corrélation entre croyance et éxécution du trait) de ses composantes les plus matérielles. Avec ou sans l’humain, l’animation reste bien l’un des genres les plus vivants du septième art.
Génie de Pixar de Hervé Aubron, Editions Capricci, collection « Actualité critique », 28 janvier 2011.