A Werner Shroeter, qui n’avait pas peur de la mort démontre par exemple que Schroeter ne fut pas plus aveugle à l’histoire de son pays que Fassbinder, son plus illustre confrère, qu’il sut au moins autant regarder cette Allemagne héritière de son passé récent à la lumière de ses divisions et de sa possible schizophrénie. Partisan des anges déchus, des identités duelles (rarement de distinction entre vraies femmes et transsexuelles chez lui, dans sa vie comme dans ses films), le cinéaste édifia son œuvre autour des hiatus et paradoxes les plus susceptibles de multiplier les destins d’une poignée de personnages. L’expérience de chacun de ses films, de l’inaugural Eika Katappa (1969) à l’ultime Nuit de chien (2008), serait ainsi celle d’un inconfort inhérent à ce refus de la ligne claire romanesque et du naturalisme, au profit de ce que très tôt on qualifia d’esthétique « baroque », parfois informe, toujours au bord de la rupture (du jeu des acteurs, de l’équilibre des scènes voire de l’image elle-même).
Tout au long de la lecture de ce livre à l’écriture élégante, si connectée à son objet, au sentiment de détenir le guide idéal pour une juste réévaluation de chaque film à sa propre mesure s’allie l’envie d’être pour l’avenir un peu plus qu’un « critique de films » : un interlocuteur secret des artistes qui nous accompagnent sans le savoir, au jour le jour. C’est de ne prendre aucune hauteur d’expert quant à Werner Schroeter, ses films, les acteurs et figures multiples les ayant traversés, de ne jamais oublier à quel point tout du cinéaste se devinait dans ses films que Philippe Azoury parvient ainsi à rester fidèle au titre du livre. Devant l’évidence que son travail ne restera pas lettre morte – sachant qu’au moins un spectateur, un critique en fut si proche de notre vivant –, qui, raisonnablement, aurait encore peur de la mort ?
A Werner Schroeter, qui n’avait pas peur de la mort de Philippe Azoury, Editions Capricci, Collection « Actualité critique »