L’histoire dans l’Histoire
« L’homme aux mille visages est le seul de mes films tiré d’un fait réel. Et en même temps, c’est celui qui est le plus loin de la réalité ». Pas simplement malicieuse, la formule d’Alberto Rodriguez met en lumière toute la liberté dont peut encore jouir un auteur tout en accomplissant son œuvre de témoignage. En cherchant à rester synthétique et clair, le scénario relate avec précision les événements qui se sont déroulés sur plusieurs années. Sur un rythme trépidant et nerveux, voix off et images d’archives à l’appui, la mise en scène du versant politico-policier n’a rien à envier aux références du genre. Peu importe s’il est parfois difficile, pour un non initié, de maîtriser toutes les complexités financières et judiciaires d’une telle affaire, la mécanique est entraînante et la dénonciation des plus accablantes pour les nombreux instigateurs.
La fiction se situe au niveau de l’humain. Dans la nature des héros et de leurs relations. A commencer, par Camoes, le narrateur principal, qui est un concentré de plusieurs personnages. Haut en couleurs, le commandant de bord est un playboy quinquagénaire sur le retour, ami et complice fidèle de Paesa. Placé au cœur de situations invraisemblables, l’homme va devoir parfois composer avec son imagination pour nous offrir sa propre vérité. Quant à Paesa, que Rodriguez n’a pas pu rencontrer (mort selon certains, caché pour d’autres témoins), il ne cesse de nous désarçonner. Derrière sa bonhommie, se cache une un glacial désir de vengeance. Il inspire aussi bien la peur, la compassion et parfois la raillerie. Incarné par un tout aussi déroutant Eduard Fernández.
Spanish’ Bluff
En politique, plus les ficèles sont grossières, plus la duperie fonctionne. Le gouvernement, la police et les services secrets espagnols ne manquent ni d’imagination ni d’audace pour maquiller leurs juteuses magouilles. « Les cons, ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnait » disait Audiard. C’est grâce à cela qu’ils en deviennent drôles, serait-on tenté de rajouter. Alberto Rodriguez ne s’en prive pas, en composant une galerie de seconds rôles aussi truculents qu’inimaginables. En compagnie de l’alcoolique repenti chargé de transporter les fonds, du cuisinier finlandais utilisé comme P.D.G.de paille, et de l’entremetteur qui vit dans un appartement au confort plus que sommaire, nous oscillons en permanence entre la désolation et le rire. Les trois registres du récit, policier, humain et humoristique, cohabitent en parfaite harmonie. Dans une tonalité qui n’est pas sans rappeler celle d’American Bluff (David O’Russel, 2013) et, surtout, du plus récent The Big Short, (Adam Mc Kay, 2015), le cinéaste espagnol réussit son pari. Celui de montrer que son pays est capable de porter un regard sans complaisance ni amertume sur son histoire récente, sur un système politique qui repose, encore aujourd’hui, sur les mêmes règles de fonctionnement.