DVD édité par EPICENTRE EDITIONS. Sortie commerciale le 26 février 2009.
S’ouvrant sur le long échange de ce dernier, tout juste quitté par sa femme, avec un collègue définissant, non sans un certain cynisme, la réalité de leur condition, le film nous l’expose dès le départ comme une figure (symboliquement) disloquée, en ce sens que c’est son reflet dans un miroir brisé qui inaugure pour nous sa naissance de personnage. Narsingh « apparaît » littéralement comme un corps, un visage marqué par une forme de résignation au manque (d’amour, de reconnaissance, de dignité face à l’illustre lignée de « guerriers » dont il est issu). Aussi, tout le travail de Satyajit Ray, comme des quelques personnages plus ou moins bienveillants s’immisçant dans son destin 2h30 durant, comme évidemment du spectateur, consistera donc à porter avec lui le poids de cette résignation, à dessein de trouver dans le gouffre même opportunité de relance, de (re)naissance.
Le film n’est pas à proprement parler dévoré par le drame, ne se prive pas de légèreté, de réjouissantes envolées lyriques (jolie séquence au cinéma, apprentissage amoureux de l’anglais, rendez-vous de minuit promettant grand romantisme…). Jamais le cinéaste ne se laisse dépasser par ce délicat sujet de la « lose » éternelle, de l’irrécupérable piétinement des parias. Au contraire, ce flou existentiel, cette difficulté à faire le « bon » choix, à être au final simplement ce que l’on est, pour le meilleur comme pour le pire, ne seraient au fond symptomatiques de nul fatalisme, d’aucune forme de malédiction, mais bien davantage d’un décalage perceptif tout « humain ». Il n’y a pas plus pragmatique qu’un cinéma qui, plutôt que de faire peser sur le corps de ses personnages le poids d’une clôture sociale, d’une insurmontable injustice du « monde », offre à ceux-ci à chaque plan, chaque séquence la perspective du choix, du libre-arbitre. La question est d’ailleurs posée dans le film à deux reprises, par un client, alors que Narsingh, dans son taxi, hésite encore à dépasser un véhicule jugé trop lent : « Qui serait responsable, en cas de mort ? Dieu ou toi ? ».
Faire part de toutes les situations exposant « Mister Singh », descendant de guerriers, à cette question essentielle du choix, tellement « cinégénique » en se sens que sur elle seule peut se nouer et s’enclencher toute une série de raccords et (ré)actions rarement sujettes à anticipation, serait maladroit. La bien réelle « beauté » de L’expédition reposerait finalement pour grande part sur sa problématisation de toute affaire (amoureuse, professionnelle, religieuse…), sa belle idée que toute destinée ne s’écrirait nulle-part ailleurs qu’ici bas : au jour le jour.
Bonus : Biographie et filmographie sélective de Satyajit Ray – Galerie photo du film – Catalogue Epicentre films.