Les Voisins de Dieu

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Entre réalisme social et mysticisme maîtrisé, un bijou provocant et sensible qui fait réfléchir sur la manière dont nous devons guider notre vie.

Être voisin de Dieu, c’est bien sûr se sentir proche de Lui sans cependant s’autoriser à Le considérer comme faisant partie de la famille et Le tutoyer. C’est pourtant ce que les machos du quartier se sentent légitimes de faire pour qu’y règne l’ordre. Voici un beau titre pour un premier long métrage prometteur, réalisé par Meni Yaesh d’après son premier court métrage, Eliko (2007). Réalisé avec peu de moyens et produit par un Français, Jérôme Bleitrach, Les Voisins de Dieu a été tourné avec des acteurs pour la majorité non professionnels (parents, voisins, amis) à Bat Yam, banlieue de Tel Aviv d’où est originaire le réalisateur. Bien sûr, ici rien à voir avec les films français sur la banlieue comme Les Kaïra (Franck Gastambide, 2012) ou autres Ma 6-T va crack-er (Jean-François Richet, 1996). Les Voisins de Dieu est empreint tout autant de métaphysique que de sociologie. On sent que le réalisateur est croyant et qu’il tente de montrer quelle est la vraie face du judaïsme, qui n’a rien à voir ni avec la violence, ni avec le prosélytisme, mais est un véritable humanisme comme le dit le rabbin au cours du film pour calmer les ardeurs destructrices d’Avi. « Dans le film, la violence au nom de la religion est le fait de jeunes un peu perdus qui sont au début de ce chemin et qui gardent encore une approche superficielle du judaïsme. Ils pensent que la religion leur donne le droit de maltraiter ceux qui sont différents, ceux qu’ils jugent même inférieurs. », déclare Yaesh dans le dossier de presse. 

On sent que le jeune réalisateur, qui prépare un film sur la façon dont la paternité peut éloigner trois jeunes pères de la violence, est nourri au cinéma américain, surtout les films d’action mais aussi les chefs-d’œuvre de Coppola, Scorsese ou encore Tarantino. Cependant, il est parvenu à construire son film sur une belle histoire d’amour rédemptrice tout autant que sur la lecture des Psaumes. De plus, en le basant sur la vie des jeunes Breslevs, issus d’un courant religieux juif plus permissif, il donne encore une fois une autre image du conflit interne d’Israël entre Juifs et Arabes, et déplace quelque peu la frontière. Nous sommes en effet étonnés de constater que, au cours du film, il n’est pas rare de voir ces jeunes religieux fumer du shit, jouer au foot ou aux dés avec leur kippa, ou encore boire de l’alcool, voire bien sûr attaquer de jeunes « délinquants » de la cité avec des battes de base-ball. Meni Yaesh explique qu’il connaît ce courant du judaïsme depuis son enfance et qu’il est intéressé par cette autre manière de vivre sa religion dans la joie, en profitant de la vie, en restant soi-même, sans forcément souffrir et se priver de tout. Cet univers qui lui est donc très familier va donner naissance à quelques séquences étonnantes, notamment le passage du rabbin avec sa voiture qui diffuse de la musique à plein tube (comme les jeunes avec leur rap au début du film d’ailleurs) et qui danse sur des slams religieux que compose Avi à ses moments perdus.

 

Il n’empêche qu’Avi est partagé. On sent qu’il est et restera le personnage positif du film, celui qui doute, qui oscille entre violence et foi ardente, qui n’hésite pas à dire la prière du shabbat et à entourer sa tête et son bras gauche avec le Tefilin, comme le font les rabbins intégristes. On découvre peu à peu sa souffrance, lui qui perdit très jeune sa mère et qui vit seul avec son père, vendeur de quatre saisons. Les scènes montent crescendo entre violence et passion pour s’achever dans l’acmé de la mort de son ami, comme signe de la nécessité d’abandonner la vengeance. Il faut dire qu’Avi est tombé fou amoureux de Miri, sa voisine, une belle jeune fille qui passe dans le quartier pour une mécréante et qui reviendra peu à peu à la religion pour accompagner son compagnon. Le film se termine d’ailleurs sur la même scène que celle du début : la prière du shabbat entre le père et le fils, mais où ce coup-ci Miri est présente.

Il y a dans ce film deux belles séquences qu’on appréciera que l’on soit ou non croyant. Celle, d’abord, qui montre Avi devant la mer Méditerranée. Torturé par son amour, il parle à Dieu pour lui demander si Miri est celle qu’Il lui destine, mais bien sûr Il ne répond pas. Avi se déshabille lentement et entre dans l’eau comme pour un bain rituel alors que le spectateur découvre l’étoile de David tatouée dans son dos. L’autre, ensuite, qui se passe entre Miri et Avi lorsqu’elle découvre le livre des Psaumes qui peut être ouvert au hasard pour guider le croyant lorsqu’il a des moments de doute ou s’il veut une réponse à sa question. Ce passage fait écho à ce que le rabbin a appris à Avi pour qu’il abandonne toute violence. On ne peut parler à la place de Dieu, lui seul écoute et connaît l’ordre des choses du monde. Ouvrons à notre tour le livre des Psaumes au hasard et lisons : « Sauve-moi, ô Dieu, car les eaux ont atteint ma vie ! Je suis plongé dans un bourbier profond, où je ne puis prendre pied ; je suis entré dans l’abîme des eaux et les eaux m’ont submergé ». Entre réalisme social et mysticisme maîtrisé, ce film est un bijou, provocant et sensible, qui ne laissera personne indifférent et fera naître une réflexion sur la manière dont nous devons guider notre vie.

Titre original : Les Voisins de Dieu

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Durée : 94 mn


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