Quelque part dans un plan isolé, on distingue une mise en scène fiévreuse. L´image est rapide, concise, n´offrant aucune chance au spectateur de s´approprier les objets de cette séquence hystérique. Quelques indices émaillent ce tournis vrombissant. Une machine à écrire, des clopes, une pièce subtilement éclairée, une jeune femme malmenant son outil littéraire. Corrections, ratures, réécriture. Ecrivaine, passionnée, attentive, elle se prénomme Sarah et créé des rêves pour les enfants. Autre plan, autre séquence. Deux hommes, un médecin et un inspecteur de police parcourent les couloirs stériles d´un hôpital. L´un est devenu père, l´autre ne le sera jamais. Mehdi range son flingue le temps de caresser la joue fragile de son bébé ; près de lui, Sarah qui l´observe attentivement. A l´extérieur, l´homme de sciences, Adrien, jette un oeil sur ce paysage idyllique et naturel. L´action se situe dans le Paris des années 80. Mitterrand règne depuis 3 ans, Platini et ses potes sont devenus champions d´Europe de foot, Michael Jackson s´éclate avec son deuxième album solo Thriller et le SIDA commence à faire des ravages.
Les Témoins est une oeuvre lyrique. Embellissant ses personnages, Téchiné convoque, avec ce nouvel opus, la lente agonie d´un groupe que la mort séparera à jamais. Ne jamais s´arrêter. Toujours aller plus loin, plus haut, vers ce << je-ne-sais-quoi >> qui pousse l´homme à apaiser ses sens, à combattre ses migraines, à ouvrir ses yeux pour ne plus sombrer dans un aveuglement déraisonné. Vivre libre et mourir ou vivre prudemment et ne plus jouir ? Telles sont les questions que pose André Téchiné dans son dernier film, croisement de deux genres faussement antagonistes : le drame psychologique et l´aventure. Témoin d´un système macabre qui s´installe progressivement, témoin malheureux de la fin d´une époque, témoin émouvant d´une génération qui s´en est allée, témoin pour ne plus verser de larmes amères.
Manu, éphèbe trublion, sale comme un ange qui enivre les sens de notre trio amoureux. Tels des vampires, ils suceront ce jeune provincial, ne lui laissant aucun répit, aucune tendresse, allant jusqu´à défier la Mort qui les élèvera vers des cieux pas très réconfortants. Toutes les cartes tomberont sur le tapis rouge sang, laissant les soldats de l´espérance accomplir la sale besogne, récupérant le maximum de vie avant que cela ne soit trop tard. Sur ce principe, André Téchiné réussit son illustration et fait mouche. Sa caméra balaie d´un revers toutes les sempiternelles évocations historiques pompeuses et abstraites. Rien que du concret, semble dire l´auteur de J´embrasse pas, rien que la plus belle des beautés dans cet engrenage meurtrier, rien que du clair-obscur. C´est la mort qui t´a assassiné, Manu, c´est la mort qui perturbera ton entourage, c´est avec la mort que la mise en scène de Téchiné s´accouplera pour enfanter le Diable. Or, cette conclusion ressemble à un pétard mouillé. Précoce, pas assez convaincant sans doute dû au Temps qui passe trop vite devant nos yeux mouillés de ce trop-plein de sentiments, Les Témoins devient progressivement une oeuvre démonstrative.
L´odeur de l´exubérance envahit les plans gratinés d´un film qui porte la marque du fer. La violence exacerbée de ces sentiments peine à tirer l´oeuvre vers le haut, sans cesse manipulée par des effets romantiques désuets déstabilisant le spectateur, qui ne sait plus sur quel pied danser. La mort de Manu, ellipse incongrue ; la rencontre finale entre Adrien et son rêve américain, rapidité mal maîtrisée ; le bonheur retrouvé d´un couple ordinaire, sincérité désavouée. Téchiné a peur de ne rien dire, de tout oublier, de passer pour un incompris, pour un auteur incomplet. Il filme sans cesse, se répète indéfiniment, convainc à moitié et perd de son aura. Peur de ce mal qui ronge le sexe libre, crainte de l´épidémie des cons, multiples frissons devant ces centaines de plans qui nous assaillent, nous emprisonnent pour avoir trop pêché. Contre qui ? Contre quoi ? Téchiné ne répond plus, trop occupé à nous mitrailler !