Les Coquillettes pâtit par instant d’avoir été ainsi étiré : ce qui faisait l’incroyable énergie de Le Marin masqué est ici dilué dans des scènes à rallonge, d’intérêt et de qualité tout à fait inégaux. Qu’est-ce qui rend alors le film de Sophie Letourneur finalement aimable ? Une hardiesse remarquable d’abord : les trois jeunes femmes foncent, donnent à leur film faussement improvisé un sentiment d’urgence et d’immédiateté assez fédérateur. Letourneur a un talent certain pour l’anecdote, pour tirer l’essence comique de toute situation a priori anodine. On rit encore beaucoup devant ces Coquillettes, d’autant plus qu’aucune des filles ne s’épargne, ne craint le ridicule. On pourrait reprocher à Letourneur de ne rien raconter, de faire du cinéma pour happy few parisiens, si son rapport au langage n’était pas si passionnant. La Vie au ranch en était l’exemple le plus caractéristique, tout entier bâti autour de discussions vaines mais parfaitement révélatrices de l’inanité de la parole entre potes. Perdue dans le brouhaha de soirées enivrées, cette parole, épuisante, semblait n’avoir aucunes limites, rendait le film aussi fascinant que parfois hermétique.
C’est toujours pour la parole – outrancière, parfaite incarnation du ici et maintenant – que vaut Les Coquillettes. Elle est ici plus éparse, Sophie, Carole et Camille passant plus de temps à épier l’arrivée en soirée de leur target du jour qu’à véritablement se parler. Carole filtre les appels de Camille, trop collante ; Camille interrompt Sophie en lui disant qu’elle a « trop envie de faire caca ». Letourneur filme aussi cette peur de n’être pas écoutée, de n’avoir finalement rien d’autre à se dire que le récit du déroulement d’une soirée qu’on a passé séparées. C’est l’histoire de filles qui vont vite, boivent trop, ramènent des mecs qui baisent mal, remplissent le temps de manière boulimique par crainte de ne rien vivre. C’est hilarant, parce que ça ramène à soi ; mélancolique également, parce que c’est une angoisse qu’on comprend. Les Coquillettes semble être encore plus « à l’arrache » que les précédents films de Letourneur, il est en fait bien plus pensé qu’il n’y paraît : le son, notamment, a été recréé de toutes pièces après avoir effacé intégralement celui du tournage.
Ce travail sur le son, Letourneur le poursuit depuis La Vie au ranch, pour lequel elle avait élaboré un CD avec de réelles discussions, qu’elle avait ensuite fait écouter aux actrices pour qu’elles puissent le répéter, au même titre qu’une partition ; pour Le Marin masqué, elle avait ajouté des commentaires off en post-synchronisation. La cinéaste confie en dossier de presse avoir souffert à l’époque « de ne pas être comprise, que l’on ne saisisse pas ce qu’il y avait de très structuré et travaillé derrière l’impression de désordre et de vacuité ». C’est pourtant dans cette recherche, pas forcément appréciée au premier coup d’œil, que réside une part importante de la richesse de son travail. Et de fait, Les Coquillettes, moins radical, s’offre plus facilement – cela n’empêche pas le film d’intriguer, en laissant parfois sur le pavé.
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