Les Confessions

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Une fable douce et amère, portée par un fascinant Toni Servillo.

En Allemagne, un sommet du G8 est organisé dans le but de mettre en place des mesures pour supprimer la pauvreté dans le monde. Parmi les personnalités présentes, on retrouve logiquement les ministres et économistes célèbres, mais plus étonnamment : une rock star, une écrivaine à succès ainsi que le moine Roberto SALUS (Toni Servillo). L’ecclésiastique a été invité par le directeur du FMI, Daniel ROCHÉ (Daniel Auteuil), qui souhaite se confier à lui. Le matin qui suit leur entretien, le vénéré économiste est retrouvé mort dans sa chambre. Un climat de doute et de suspicion s’installe alors.

Trois ans après le succès de Viva la liberta (2014), Roberto ANDÒ nous offre ici une nouvelle fable politique sur l’exercice du pouvoir. Une ironie tout en nuance, un regard critique jamais démagogique, un Toni Servillo toujours aussi magistral : Les confessions possède les mêmes atouts que l’oeuvre précédente. Mais pas uniquement. Plus ambitieux et beaucoup plus abouti, notamment dans sa mise en scène, le dernier opus de Robert Ando réussit le tour de force de concilier humour, poésie et réflexion : une belle leçon de cinéma à l’italienne.


Le pouvoir de l’illusion

A sa sortie de l’aéroport, Roberto SALUS est intrigué par la présence d’un mannequin humain en lévitation. Le moine doit se rendre à l’évidence : rien n’est plus convaincant qu’une parfaite illusion. Pour Daniel ROCHÉ, cet adage constitue la pierre angulaire de la communication politique : « Maintenant que nous avons privé d’espoir les citoyens de ce monde, ils ne nous restent plus qu’à leur vendre de l‘illusion » explique le directeur du FMI. Pour mettre en place son nouveau tour de passe-passe, ROCHÉ a invité ses assistants dans un théâtre éloigné de tous les regards. Le réalisateur va alors créer un univers fantaisiste et fantasmagorique, qui, in fine, pourrait bien traduire avec réalisme la triste absurdité du monde politique contemporain.

A l’intérieur de la propriété, on est d’abord surpris par le vide qui règne dans les vastes et innombrables pièces accueillant seulement une petite quinzaine de participants. Les longs et lents panoramas, qui dessinent l’isolement et la tristesse de ces âmes en peine, nous plongent dans un sentiment de tension palpable. Le décès surprise du directeur du FMI fait basculer le récit dans un whodunit à la fois drôle et inquiétant, dans lequel la résolution de l’énigme est un alibi pour révéler l’excentricité de certains et la faiblesse des autres. Mais également, pour dénoncer l’illusion du pouvoir. Malgré leur succès, les stars de la littérature et de la chanson restent rongées par leurs frustrations. L’impuissance des économistes et ministres s’accentuant avec la disparation du magicien qui les influençait : « Tout ce que nous entreprenons pour sauver le monde l’aggrave » se désespère le ministre italien.


La force du silence

Roberto SALUS apparaît comme le brillant disciple de Jap Gambadella, l’imprévisible personnage de La Grande Bellezza (Paolo Sorrentino, 2013) qui proclamait « Le silence est sentiment, l’émotion est la peur ». Le charme flegmatique de Tony Servillo s’est ici enrichi d’une maturité époustouflante. Son interprétation est d’une grande subtilité. Une gestuelle souple parfaitement maitrisée, un regard troublant et impénétrable, seul un homme doté d’un tel charisme peut faire vaciller les certitudes du pouvoir économique. Fidèle à son obédience cartusienne, le moine est économe en paroles, faisant ainsi longtemps résonner chacune de ses interventions. Le savoureux phrasé du comédien est au service d’un texte élégamment spirituel (dans la double acception du terme). Salus oppose sa savante ignorance à la scientifique certitude des préceptes économiques : « Je n’ai jamais vraiment compris ce que signifie le concept de destruction créatrice » lance-t-il lors d’un échange. Lorsque les propos des hommes deviennent dénués de sens ou de sensibilité, le moine préfère écouter le chant des oiseaux, dont il possède des milliers d’enregistrements.

Le silence est également mis en exergue par une bande originale savamment composée. La Winterreise (1828) de Schubert, mélodie évoquant l’exode affectif, ainsi que les créations originales de Nicola Giovani qui a imaginé une musique appropriée à Salus et aux diverses tonalités du récit. Une partition d’autant plus expressive que la musique a été enregistrée selon un procédé aujourd’hui délaissé, l’orchestre jouant devant le déroulement des images.

Indubitablement, Les confessions est une œuvre de belle facture, devant laquelle il serait bien dommage de ne pas succomber.

Titre original : Le confessioni

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Durée : 100 mn


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