Les Amours d’une blonde (Lásky Jedné Plavovlásky, 1965)

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Fin de bal pour la jeunesse tchèque.

Quelques années après avoir intégré la section scénario de l’École du cinéma de Prague (FAMU), Miloš Forman termine son premier film, L’Audition, en 1963. Dans cette fiction-documentaire, le cinéaste porte à l’écran les espoirs d’une poignée de jeunes chanteurs et chanteuses désireux d’intégrer un groupe de rock. Entre volonté de prendre le pouls de la jeunesse tchèque, sensibilité particulière pour la gent féminine et envie de s’approcher au plus près des réalités de son époque, on retrouve déjà quelques-unes des préoccupations d’un cinéaste, alors tout juste trentenaire, affirmant simplement vouloir « filmer sans détourner les yeux ».

C’est avec le même regard qu’il tourne, deux ans plus tard, Les Amours d’une blonde, son troisième long métrage. Si l’aspect documentaire n’est plus aussi présent que dans L’Audition, Miloš Forman affirme tout de même avoir imaginé le film suite à la rencontre nocturne d’une jeune femme errant dans les rues de Prague. Ouvrière, elle était montée à la capitale, trimbalant sa grosse valise sur les traces d’un amant lui ayant fait miroiter une vie meilleure, le soir où il l’avait aimé. Mais l’adresse donnée était fausse et le rêve s’était envolé. L’ouvrière des Amours d’une blonde se prénomme Andula (Hana Brejchová). Elle travaille dans une usine de chaussures de la petite ville de Zruč, et passe l’essentiel de son temps à l’usine et au dortoir, dans un environnement quasi uniquement féminin – les femmes représentant 90% de la population de cette ville construite autour de son usine. Face à ce constat, le directeur général parvient à faire implanter à proximité un cantonnement militaire destiné à compenser l’absence des hommes, et ainsi apporter aux femmes cet équilibre dont elles auraient besoin. Évidemment, l’initiative est un fiasco et c’est avec une ironie toute amère que Miloš Forman va s’appliquer à nous la présenter. Ce relent de paternalisme est balayé en une scène, lorsqu’Andula et ses amies accueillent, en gare de Zruč, ce que l’armée peut faire de plus vieillissant et de plus mou, en lieu et place du vaillant soldat fantasmé. Tout est dit dans ce décalage. Ce fantasme n’est d’ailleurs pas tant celui d’une jeunesse en manque, que celui de la vieille génération l’ayant construit de toute pièce pour mieux y répondre. Et c’est précisément sur ce point que Miloš Forman semble vouloir nous alerter : désormais, c’est à la jeunesse de poser les questions et c’est à la jeunesse d’y répondre.

  

Andula pense trouver ces réponses chez Milda (Vladimir Pucholt), un jeune pianiste de jazz venu apporter un peu de « Prague » dans une soirée pour le moins morose. Nous sommes ici bien loin du bal de L’As de pique (1963). Pour inviter les filles à danser, les vieux soldats ont la maladresse et la nonchalance de jeunes premiers et tous restent assis à se regarder en chiens de faïence. Au bal de Zruč, la jeunesse ne fait pas la fête, elle s’emmerde. Deux années seulement après la fraîche insouciance des auditions de son premier film, on dirait que la jeunesse tchèque n’y croit déjà plus. Pourtant, ce jeune pianiste a l’air différent et Andula le sent. Dans cette chambre, et pour un soir, un rapprochement s’opère et permet à Miloš Forman d’affirmer son style, baladant sa caméra au plus près du corps de son actrice. À travers une séquence très Nouvelle Vague, le cinéaste joue sur les tons, passant du rire, avec la scène du rideau se relevant sans cesse et repoussant toujours le rapprochement amoureux, à l’inquiétude la plus profonde, lorsque l’observation des lignes de la main de la jeune femme est l’occasion pour elle d’évoquer une tentative de suicide.

 

  

Si cette rencontre a brisé le quotidien d’Andula, celui-ci se rappelle à elle par le biais du montage de Forman qui, à peine la nuit passée, nous montre la jeune femme à l’usine, dans sa routine la plus automatisée. Bien que la scène soit très courte, on la vit au plus proche de la chaîne, dans un style assez proche de la démarche d’un Chris Marker qui, en France, fera entrer sa caméra dans les usines (À bientôt, j’espère, 1968), avant de donner aux ouvriers la possibilité d’avoir la leur (avec le groupe Medvekine). On voit ainsi Andula, perdue au milieu de ses semblables, et l’on imagine la monotonie de sa vie de machine, qu’elle soit enfermée à l’usine ou dans son dortoir. Face à ce monde clos, la seule porte de sortie est la fuite, mais la décision de rejoindre Milda à Prague tourne là aussi à la déconvenue. Elle aura bien essayé de contourner son destin mais à la fin, le film se termine là où il a commencé, dans un lit entre deux femmes, aux côtés d’une Andula évoquant à demi-mot le chaos de sa vie sentimentale.

À travers ce film, Miloš Forman atteint l’objectif qui était le sien : dénoncer l’absurdité des films du réalisme socialiste soviétique. Bien que la chape de plomb imposée par le régime communiste sur la Tchécoslovaquie ait un temps pu faire croire à la réalité d’une classe populaire à l’existence idyllique, Miloš Forman vient ici balayer cette vision. Il ne cherche qu’à montrer la réalité d’un pays qui va mal et dont la jeunesse en est la parfaite incarnation. L’insouciance du début de la décennie n’est déjà plus qu’un concept, la jeunesse tchèque n’a ni perspectives ni rêves, elle est désabusée. Trois ans après la sortie du film, cette jeunesse verra les chars soviétiques mettre un terme au Printemps de Prague lancé sept mois plus tôt. Le 16 janvier 1969, elle verra l’acte désespéré de l’un des siens, Jan Palach, étudiant de 16 ans, qui s’immolera par le feu en plein cœur de Prague afin de dénoncer l’occupation de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie.

Titre original : Lásky jedné plavovlásky

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