Il y a tant de choses à dire sur ce film très riche qu’on ne pourrait les dire toutes à la fois au risque d’en déflorer l’originalité. Il faut se laisser embarquer par ces images qui jouent à la fois sur la banalité du quotidien et la magie des rencontres. L’histoire se développe surtout grâce à des ellipses, notamment par la présence tutélaire et lointaine d’un père dont on ne sait absolument rien, dont on n’entend même pas la voix mais qui, à chaque fois qu’il appelle, envahit l’espace mental de sa fille. La relation œdipienne déçue que Lea semble entretenir avec lui cessera lentement lors de sa liaison avec Lucia, mais surtout au moment de la mise en eau du bateau, suivie de son mariage avec le fiancé abandonné un temps pour ce voyage. Il faut dire que les hommes ne sont pas trop à l’honneur dans ce film. Le mari de Lucia n’est guère plus brillant que le fiancé de Lea, présent absent, mais surtout terriblement banal et pitoyable. Ce choix est délibéré puisque le cinéaste avoue : « la féminité est à l’origine de mon film ».
Comme les sirènes aussi car le film abonde de références mythologiques et culturelles sans être pour autant pédant. Le miroir rappelle Narcisse mais aussi le stade freudien de l’identification. Les références cinématographiques, elles-aussi, sont nombreuses. Ainsi l’un des médecins du film se nomme Doisnel, en référence bien sûr à Truffaut. Le tango argentin évoque, au cours du mariage de Lea, le pas de danse ébauché par Dominique Sanda et Stefania Sandrelli dans Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, et enfin le renversement des rôles transforme une sorte d’hôtesse de l’air, épouse modèle, en femme libre alors que son pendant, la jeune fille non conformiste, tatouée, va plonger quant à elle dans le mariage bourgeois avec son fiancé qui exerce le métier de tatoueur et qui, pour la circonstance, aura ôté ses piercings.
Le Voyage de Lucia est un très beau film, léger et profond à la fois. Espérons que sa distribution en pleine période estivale ne l’empêchera pas de trouver son public.