Le Voyage de Lucia

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Autour de deux belles figures féminines, Stefano Pasetto signe un beau deuxième long métrage, léger et profond à la fois.

La musique encore une fois adoucit les mœurs, mais sert surtout de point d’ancrage. Sans métaphore. Pour ce film, construit entre mer et terre, avec la symbolique de la mise en eau d’un bateau par deux femmes écorchées vives et mélomanes, la musique sert à la fois de moyen de rencontre et de terra incognita, servie par ce père lointain qu’on imagine musicien et toujours entre deux avions. Deux femmes, que rien ne prédisposait à une rencontre, se découvrent peu à peu jusqu’à tomber en amour et partir en Patagonie pour mettre à flot un bateau pour le père de l’une des deux. La symbolique du bateau à terre qu’on doit rafistoler oriente le film : il représente comme un rêve stérile, une tortue sur le dos – Tartarughe sul dorso était d’ailleurs le titre du premier film de Stefano Pasetto. Le réalisateur a choisi de tourner son deuxième long métrage en Amérique Latine avec deux comédiennes italiennes magnifiques et bouleversantes, Sandra Ceccarelli et Francesca Inaudi.

Il y a tant de choses à dire sur ce film très riche qu’on ne pourrait les dire toutes à la fois au risque d’en déflorer l’originalité. Il faut se laisser embarquer par ces images qui jouent à la fois sur la banalité du quotidien et la magie des rencontres. L’histoire se développe surtout grâce à des ellipses, notamment par la présence tutélaire et lointaine d’un père dont on ne sait absolument rien, dont on n’entend même pas la voix mais qui, à chaque fois qu’il appelle, envahit l’espace mental de sa fille. La relation œdipienne déçue que Lea semble entretenir avec lui cessera lentement lors de sa liaison avec Lucia, mais surtout au moment de la mise en eau du bateau, suivie de son mariage avec le fiancé abandonné un temps pour ce voyage. Il faut dire que les hommes ne sont pas trop à l’honneur dans ce film. Le mari de Lucia n’est guère plus brillant que le fiancé de Lea, présent absent, mais surtout terriblement banal et pitoyable. Ce choix est délibéré puisque le cinéaste avoue : « la féminité est à l’origine de mon film ».
 

Tout comme la musique, les animaux occupent une place de choix dans ce film qui se conclut d’ailleurs par une métaphore quasi platonicienne sur le taon : à cause de son poids et de sa grosseur, celui-ci ne devrait pas pouvoir voler et pourtant vole de par sa propre énergie, comme Lucia qui se guérira seule de son cancer. Un peu comme l’affirmait Galilée au sujet de la Terre : « et pourtant elle tourne ! ». La présence des animaux est obsédante, qu’ils soient maltraités par les hommes comme ces poulets de batterie que Lea et ses collègues écorchent et plument au début du film, qu’ils soient adorés comme le petit chat, craints comme ces éléphants de mer sur la plage ou encore porteurs de divins secrets comme les baleines dans cette splendide scène où Lucia, depuis le bateau, parvient enfin à entendre leurs chants.

Comme les sirènes aussi car le film abonde de références mythologiques et culturelles sans être pour autant pédant. Le miroir rappelle Narcisse mais aussi le stade freudien de l’identification. Les références cinématographiques, elles-aussi, sont nombreuses. Ainsi l’un des médecins du film se nomme Doisnel, en référence bien sûr à Truffaut. Le tango argentin évoque, au cours du mariage de Lea, le pas de danse ébauché par Dominique Sanda et Stefania Sandrelli dans Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, et enfin le renversement des rôles transforme une sorte d’hôtesse de l’air, épouse modèle, en femme libre alors que son pendant, la jeune fille non conformiste, tatouée, va plonger quant à elle dans le mariage bourgeois avec son fiancé qui exerce le métier de tatoueur et qui, pour la circonstance, aura ôté ses piercings.

Le Voyage de Lucia est un très beau film, léger et profond à la fois. Espérons que sa distribution en pleine période estivale ne l’empêchera pas de trouver son public.
 

Titre original : La Llamada

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Durée : 92 mn


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