Le Trésor

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Un conte satirique sur la société roumaine, surprenant et maîtrisé.

Dans la lignée de 12h08 à l’est de Bucarest (2006), premier long métrage qui lui avait valu une Caméra d’or à Cannes, Corneliu Porumboi poursuit avec Le Trésor son exploration critique – et toujours sarcastique – de la société roumaine post-Ceauşescu. Après voir évoqué la révolution de 1989 et ses suites, puis le rôle de la justice et de la bureaucratie (Policier, adjectif en 2010), cette figure centrale de la « nouvelle vague » du cinéma roumain s’intéresse donc à une nouvelle dimension, accentuée par la crise, celle de l’argent et du matérialisme.
Un homme ordinaire, Costi, qui lit Robin des Bois à son fils, se retrouve ainsi embarqué dans une improbable chasse au trésor par son voisin Adrian, accablé de dettes et qui trouve dans une légende familiale le seul espoir d’y échapper. Costi est un homme bon, qui semble guidé par le souci de se conduire avec droiture : il ne veut pas mentir à son patron, apprend à son fils à se défendre sans violence … mais est sans cesse tenté par des écarts à la morale, par le mensonge et par le vol. Robin des bois, vol, trésor : l’argent est omniprésent dans les dialogues, il est le ressort des relations entre personnages, qu’il accable et pousse à l’irrationnel. Ce pouvoir irrésistible guide tout le film.

En filigrane de ce thème, Porumboiu poursuit son étude de la société roumaine, dont il souligne à nouveau la dimension oppressive. L’endettement, la violence et la précarité économique sont le lot quotidien de ces hommes, qu’il prend le temps d’exposer dans les premières séquences comme un enfermement perpétuel, sans plans extérieurs et dans des décors dépouillés et ternes. Fort heureusement, le film ne se limite pas à cette fade réalité, car le trésor va justement permettre au récit de s’en extraire, et au réalisateur-scénariste de laisser libre cours à son imagination.
L’imagination, l’envie du jeu, de l’aventure, est personnifiée à l’écran par le fils de Costi, sur lequel s’ouvre et s’achève le film. Personnage en apparence secondaire, celui-ci explique en réalité une large partie des actions de son père, qui semble obsédé par le souci de ne pas le décevoir. Ainsi, la première scène le montre se justifiant de son retard à la sortie de l’école, persuadant son fils que ce délai était indépendant de sa volonté. A travers cette relation père-fils, et le symbole du magot enfoui (que le voisin, Adrian, pense tenir de son arrière-grand père) Porumboiu s’intéresse à l’histoire morcelée de la Roumanie et à la difficulté de construire une transmission au-delà des soubresauts subis par le pays, qu’il s’agisse des deux guerres mondiales, de l’avènement puis de la sortie du communisme, et de l’entrée dans l’Europe libérale. Obsédé par l’idée d’être un bon père, Costi l’est d’autant plus qu’il se construit comme tel sur des bases vierges, dans une société nouvelle.

 

Si le récit fait la part belle à l’imaginaire et au fantasme pour fuir une réalité austère, la réalisation suit le même parcours, en s’échappant des plans d’intérieurs à Bucarest pour se libérer dans le vaste jardin où se déroule la chasse au trésor. La fouille proprement dite permet à Porumboiu d’exercer ses talents de réalisateur, déployant dans le jardin des plans beaucoup plus longs, se perdant avec les personnages et soulignant le changement de leurs relations, excitations puis espoirs, déçus et renouvelés, faisant monter le suspense sur la découverte ou non du butin salvateur. La réussite visuelle du film doit beaucoup au travail sur la lumière : il s’agit du premier film de Porumboiu en numérique, ce qui semble avoir stimulé sa créativité dans l’utilisation de l’éclairage, qui s’exprime surtout lors des scènes en extérieur. A la lumière naturelle déclinante succède une variété de solutions trouvées par les personnages eux-mêmes, comme les phares de leur voiture, ou cette ampoule suspendue à un câble, accessoire maison qui permet des jeux de lumière infinis. La recherche d’un éclairage convenable devenant même un des ressorts de la tension comique croissante au cours de cette fouille au butin incertain.

Car Le Trésor séduit aussi par un humour qui n’est pas le moindre de ses mérites, et qui repose notamment sur la relation entre Adrian, ce voisin relativement antipathique et irascible, et Cornel, le technicien un peu lent manoeuvrant le détecteur de métaux. Le ton monte sans cesse au cours d’échanges où l’impatience du premier se confronte à l’indolence du second, jusqu’à finir en dispute sur l’anti-intellectualisme supposé des communistes, le passé ressurgissant dans les mots en attendant son apparition hypothétique sous les pelletées de terre.

Titre original : Comoara

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Durée : 89 mn


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