Après Samba tourné à plus de 15 millions d’euros, Eric Toledano et Olivier Nakache reviennent avec un budget comparable pour Le Sens de la fête, leur sixième long-métrage en douze ans, preuve de régularité et d’une bienveillance générale à leur égard – les 43 millions de spectateurs en Europe pour Intouchables, ses récompenses et son remake américain en attestent.
Contrairement à Samba, Intouchables ou encore leur premier film Je préfère qu’on reste amis…, centrés autour d’un duo de personnages, Le Sens de la fête épouse la forme d’un film choral construit autour de toute une constellation de personnages, une communauté, la brigade d’un organisateur de mariages se substituant à un groupe d’amis et à un groupe d’animateurs en colonie de vacances, dans Tellement proches… et Nos jours heureux, leurs deux autres précédents films.
Le défaut habituel du duo, celui d’être trop lisses et consensuels, se trouve ici plutôt corrigé grâce au rôle déterminant de Jean-Pierre Bacri. L’acteur et scénariste a déjà contribué aux dialogues et au développement du script. Cela se laisse d’ailleurs clairement ressentir, comme lorsqu’il dit à son ami photographe, annonçant arrêter les photos de mariages pour devenir reporter de guerre que là-bas il « y aura moins de buffets » – ledit photographe ne manquant pas de nettoyer les plateaux de collations et de s’enquérir de la cuisson du foie gras. Bacri amène de l’ironie, de la noirceur, de l’amertume, et l’écriture s’en trouve embellie. En tant que comédien, dans le rôle de l’organisateur Max, il excelle, et ce dès la scène d’ouverture, jubilatoire et prometteuse. Il est d’une percutante justesse dans ce rôle d’organisateur vieillissant, rendu un peu amer, dépassé par les événements tout en sachant s’adapter, également patriarcal et, au fond compréhensif, daignant sans trop regimber accorder journées de congé et petits services. Le personnage lui convient parfaitement et lui permet aussi de différer subtilement du registre très bougon auquel on le rattache trop souvent et injustement. C’est un grand comédien, très drôle et juste, sachant comme un musicien aguerri trouver les yeux fermés la bonne note. Le film nous le rappelle, et c’est déjà un mérite.
Tous ne convainquent cependant pas autant que Bacri. Si on est contents de découvrir les visages d’Eye Haidara ou Manickam Sritharam, homme de ménage tamoul pour Lagardère Active, mais diplômé d’une école de journaliste et comédien-chanteur talentueux, – dont le nom ne figure pas malheureusement pas sur l’affiche -, d’autres agacent davantage, comme l’insupportable Vincent Macaigne qui reconduit une énième fois son rôle si éculé et répétitif d’amoureux éconduit dont il s’acquitte ici avec paresse et automatisme. L’entendre reprendre un point de grammaire – en ancien professeur de français – est simplement navrant. Vlad Ivanov dans un rôle de benêt d’une grande lourdeur, ou Benjamin Lavernhe un peu trop parfaitement infect en marié à l’égo boursouflé, fatiguent aussi. Il est à regretter que certains ne soient là que pour la décoration ou par calcul, leurs noms renvoyant au paysage du cinéma d’auteur, comme la certes charmante Suzanne Clément à Xavier Dolan ou Kévin Azaïs qui a tourné dans le césarisé Les Combattants de Thomas Cailley. Rouve et Lellouche ne sont pas enfin non plus de la plus grande finesse.
L’écriture elle aussi n’est pas exempte de faiblesses. Si certaines scènes comiques séduisent, essentiellement grâce à Bacri ou que le film étonne en fin de course par un magnifique final à valeur de compromis conciliant et mettant en lumière des travailleurs clandestins tamouls qui se révèlent de superbes musiciens, d’autres gags affligent, comme lorsque le personnage d’Ivanov confond des flûtes de champagne avec les instruments de musique. Ces « gags » sont de surcroît appuyés et surlignés avec une ostentation qui les rend encore plus pénibles. Un autre défaut gênant est enfin le manque criant de rythme, surprenant pour deux réalisateurs qui pourtant n’arrêtent pas de se revendiquer de la comédie italienne. Le film a pourtant bien des longueurs, et aurait pu être coupé avec beaucoup plus de rigueur.
S’il y a de bonnes choses dans Le Sens de la fête, baromètre aussi de la société française d’aujourd’hui, le concert de louanges hystérique est usurpé.