Le Secret de Kanwar

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Une réflexion autant sur l’histoire de l’Inde et du Pakistan que sur le machisme, le film se perd dans un mélange des genres qui atténue le message.

Tourné au Penjab, à la frontière pakistanaise, Le secret de Kanwar est censé se passer en 1947 au moment de la partition de l’Inde et de la création du Pakistan. C’est un film d’une grande beauté plastique, notamment grâce à la photo de Sebastian Edschmid et à la direction artistique de Tim Pannen, qui parle entre autres de la perte : perte de son pays, perte d’identité, perte des êtres chers, le tout empli de philosophie hindoue.

Obligé de fuir son village, sa maison et ses biens, un père de famille Sikh, Umber Singh, entraîne avec lui sa femme et ses trois filles, laissant leur maison à l’abandon et polluant exprès l’eau du puits en y jetant le corps d’un soldat pakistanais qui vient de les envahir. Le thème de l’eau, de la féminité sera très important tout au long du film, d’où la récurrence de l’image de ce puits qu’on retrouvera à plusieurs reprises. Le réalisateur raconte même qu’il existe une tradition sikhe selon laquelle les jeunes filles, pour échapper au déshonneur, se jetaient dans un puits. Au début du film, avant que la situation ne soit renversée, on voit d’ailleurs le père en contemplation devant le paysage que traverse une belle rivière au clair de lune, image de la plénitude apportée par l’eau des rivières et que nous retrouverons à la fin en forme de contrepoint. L’importance de l’eau, notamment dans les pays pauvres, est cruciale car elle permet la vie, la toilette et l’agriculture. Il faut la protéger et surtout ne pas la souiller par des immondices ou des cadavres. Les images sur le puits sont, à ce titre, éclairantes, selon qu’il sert à protéger la vie ou à donner la mort. Le secret de Kanwar semble être une sorte de métaphore de la perte : il commence d’ailleurs par des plans sur l’abandon d’une maison et de son puits traditionnel. Cette fuite est un déchirement et le seul espoir que nourrit le père est que sa femme, qui attend un quatrième enfant, lui donne enfin un garçon. Hélas ce sera encore une fille, et Umber décidera de l’élever en garçon qu’il mariera plus tard avec une jeune fille d’une caste inférieure puisqu’elle est gitane. Kanwar, élevée en garçon, va apprendre à oublier son sexe, à tenter de devenir autre, à nier ses premières règles et à s’intéresser aux jeunes filles. Perte d’identité sexuelle, et perte de repères, il n’y a sans doute rien de tel que cette souffrance pour devenir fou.

 

Peu à peu d’ailleurs, le film s’enferme dans cette souffrance et cette perte. Après la perte de l’identité nationale, la perte de la maison, voici maintenant la perte du sens de la vie. Kanwar, parce qu’elle aime son père, fera tout pour lui obéir, jusqu’à aller apprendre à utiliser les armes et aller à la chasse, ce qui sera en fait plus tard fatal à son père. En choisissant la solution extrême qui est de nier le sexe de sa fille, Umber la laisse certes en vie, mais se transforme pour sa part peu à peu en véritable fantôme, tant et si bien que vers la fin du film, le mort saisira le vif dans un basculement dramatique assez difficile à supporter et à appréhender.
Anup Singh a découvert le cinéma sur un bateau qui fuyait la Tanzanie une nuit de pleine lune, à l’âge de 14 ans. Par ses diverses influences africaines, hindoues, anglo-saxonnes et sikhes, et à la manière magnifique de l’Hadrien de Marguerite Yourcenar, il se perd un peu dans le dédale de ses inspirations. La première partie du film est splendide lorsqu’elle se concentre sur la perte du pays, sur la perte de l’identité et sur les interrogations d’une petite fille qu’on oblige à nier sa propre nature et qui s’y soumet par amour pour son père. Mais dans la deuxième partie, les fantômes viennent à notre rencontre et l’histoire connaît trop de complications assez irrationnelles pour satisfaire un esprit cartésien. C’est dommage, mais on garde toutefois une assez belle impression sur la douleur d’une enfant et sur les doutes d’un père qui n’a pas le courage d’accepter la vie. Peut-être n’était-il pas nécessaire de truffer la fin du film d’une sorte de réincarnation et de transsubstantiation qui apportent certes du sel à la narration mais pas grand-chose au propos qui aurait dû se cantonner à l’analyse d’une société qui, par tradition, peur ou convention, accepte de mutiler symboliquement les petites filles, justement à la gloire de la domination masculine.
 

Titre original : Qissa: The Tale of a Lonely Ghost

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