Le retour de Fabiola

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Comment refaire sa vie dans un village chilien après avoir été actrice porno à Santiago.

Né au Chili en 1975, Jairo Boisier nous propose ici une chronique douce amère d’un village chilien. Quittant Santiago où elle était actrice pornographique depuis dix ans, Fabiola retrouve son père et sa sœur dans la maison de son enfance. Le réalisateur dit avoir écrit le scénario en trois mois après avoir vu à la télévision chilienne un reportage sur une hardeuse. La manière dont les médias s’emparent des faits divers dramatiques le dégoûte un peu et il veut ici s’intéresser à la façon dont un être humain peut tenter de changer de vie. Le passé de Fabiola lui colle à la peau et transforme même la vision que les gens se font certes d’elle, mais aussi de la capitale vue comme une sorte de Babylone de perdition. À la fois accueillie comme une pestiférée mais aussi comme une enfant prodigue, il va falloir qu’elle se réinsère dans la micro-société de son village d’origine, sans tenir compte des rumeurs et des humeurs. Malgré quelques petites maladresses, le film tient bien la route et fait parfois même sourire lorsque Fabiola se trouve confrontée à des situations inattendues ou cocasses comme pour son travail de surveillante d’un dépôt de ferraille ou dans sa danse devant le miroir, jugé par sa sœur qui est comme son contrepoint, si sévère et dévouée au bien-être du père.

Ce que le film montre bien aussi, hormis la complication des relations amoureuses qui, en pareille circonstance, pourraient faire l’amalgame entre l’ancien métier de Fabiola et une supposée légèreté, encline au libertinage, c’est la transformation que les nouvelles technologies sont en train de faire subir à la planète. Ici, l’acquisition d’un vieil ordinateur par Fabiola représente comme l’intrusion d’un personnage supplémentaire qui ne permet pas de communiquer plus facilement, sauf peut-être dans la séquence tendre du selfie devant la Webcam.
Incommunicabilité, solitude, il semblerait que les liens sociaux, au Chili comme ailleurs, soient bien distendus au point d’empêcher les personnes d’avoir de vraies discussions et de ne pas céder aux conventions. Pourtant, même avec son air mollasson, Fabiola tente de se mettre en relation avec sa famille, avec ses anciens amis, avec le village qui constitue à lui seul un réel personnage et on dirait qu’elle y parvient à force de pugnacité et de mélancolie, mais à quel prix ! L’amour qu’elle inspire au jeune puceau Tarentula, fils du directeur de la décharge qui tente de la séduire lui aussi, n’est peut-être lié qu’au fait qu’il se masturbe en secret sur les films érotiques dans lesquels elle a joué. Nous n’en aurons pas la certitude mais, peu à peu, par sa présence et sa pureté, Fabiola fait un retour qui rend sinon la joie de vivre, du moins le sourire à sa famille. C’est un film psychologique mais aussi social qui, comme le déclare le réalisateur dans le dossier de presse, « pointe du doigt notre société qui classe et étiquette les gens de manière irrévocable ». Début prometteur pour ce jeune réalisateur dont nous attendons maintenant la sortie de Trône pour un homme sans travail, moyen métrage actuellement en postproduction.

Titre original : La Jubilada

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Durée : 84 mn


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