Le Monde de Narnia: l’Odyssée du Passeur d’aurore

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Après deux opus fort sympathiques, la magie n´opère plus à Narnia.

Pourquoi changer une équipe qui gagne ? C’est un peu la question qu’on se pose à l’issue de ce laborieux troisième épisode du Monde de Narnia. La fin du Prince Caspian était pourtant très encourageante. On savait avec certitude que l’insupportable Peter, le grand frère fort, valeureux et incroyablement rabat-joie, et sa sœur Miss Tir à l’arc ne remettraient plus les pieds à Narnia. Pleine d’allégresse face à cette bonne nouvelle, la chanteuse Regina Spektor ravissait ainsi nos oreilles d’un beau The Call comme générique final. Fort de ces belles promesses, on attendait ce Passeur d’aurore vaillamment. Belle déception. Le film est à l’image de la chanson sur laquelle il s’achève : ringard, mou et trop aigu.
Pour Lucy et Edmund, grands roi et reine de Narnia, les temps sont durs depuis qu’ils ont réintégré le vrai monde et doivent cohabiter avec un cousin aussi premier de la classe que crétin, pendant que leurs aînés font la java dans le nouveau monde. La guerre, la seconde, fait toujours rage, mais ils sont trop jeunes pour en être. Vivement Narnia où ne les attend pas le beau et brave prince Casse-pieds, pardon Caspian, d’autant plus que c’est l’une des bonnes nouvelles du film : Caspian a arrêté d’être casse-pieds.
 
Les enfants, ceux à l’écran et ceux dans la salle, ont grandi. Michael Apted, nouvellement aux commandes de la saga pour la Fox (au vu des recettes du deuxième épisode jugées trop peu élevées, Disney a lâché son bébé), a donc mis le cap sur l’aventure : plus d’aventure, beaucoup plus. A tel point qu’il a fait de Narnia un objet bâtard à mi-chemin entre Indiana Jones version dernière croisade et Pirate des Caraïbes, mais sans le talent comique de Johnny Depp et la main de fer de Bruckheimer. Le plus troublant dans ce troisième volet, c’est l’hésitation constante qu’il y a devant les spécificités mêmes de la saga : la magie, l’animisme et l’anthropomorphisation qui va avec. Que voit-on à l’œuvre dans les précédents volets ? Un conte fantastique où le but est de donner la parole et de jouer de la confrontation de tous êtres et de toutes choses : une armoire avec un double-fond génial, des satyres, des centaures, des souris et des loirs qui parlent, un lion paternaliste, une sorcière enneigée, ou encore des arbres qui se battent. Or ici tout cela est réduit au maximum et à de purs effets comiques : soit la confrontation entre le nouveau venu, le cousin machin, aux us et coutumes du monde de Narnia version « Ciel des animaux qui parlent ! Je m’évanouis ». Même si ce choix porte en lui quelques bienfaits (et donne au film une scène proprement hilarante), on peut regretter le refus quasi-total du merveilleux dans le film alors qu’il faisait tout l’intérêt de l’adaptation de la saga. L’une des rares séquences pleinement réussies, celle de la maison de l’Oppresseur, est d’ailleurs celle qui se rapproche le plus des précédents opus.
 
 

Le choix de la rupture de ton dans une série déjà bien établie n’est pas problématique s’il est maîtrisé et judicieux – voir en ce sens le nouvel élan enthousiasmant, mais sans doute ultime, du dernier Harry Potter qui en se concentrant sur ses personnages plutôt que sur l’action parie, une fois n’est pas coutume, sur l’intelligence du spectateur. Dans ce Passeur d’aurore, moins par moins égale plus. Moins de merveilleux, moins de personnages, mais plus d’action. Même quand il n’y en a pas ! On se bat donc pour le plaisir dans Narnia, au moins ça occupe. Le film est une longue collection de situations d’occupation vite expédiées entre deux scènes d’action. Un court passage par l’île de la tentation servira de rebond au réalisateur dès qu’il faudra meubler l’écran jusqu’au grand assaut final désespérément ridicule. Fin psychologue, Michael Apted organise une dialectique expéditive de la relation de chaque personnage à la tentation qui lui est propre et qui peut se résumer en : la tentation, c’est mal.

Tout ceci est d’autant plus dommageable qu’on sent poindre dans l’histoire de vraies questions et de vraies thématiques qu’il aurait été judicieux d’aborder. Dès leur arrivée à Narnia, Lucy et Edmund apparaissent comme des enfants qui aiment qu’on se prosterne devant eux. Or, on comprend vite que leur statut royal est purement décoratif et que le pouvoir est passé en d’autres mains. Autre point non exploré mais qui saute de plus en plus aux yeux à mesure qu’on avance dans la saga : l’apparition de Narnia comme un monde imaginaire, une projection enfantine d’où les adultes sont exclus, à mi-chemin entre le pays des merveilles (Wonderland) et le pays imaginaire (Neverland). Mais là n’est pas la question. L’important c’est l’action, les coups d’épée, les entrailles du monstre et que ça bouge à l’image pour justifier un peu la 3D gentiment appliquée à feu notre monde de Narnia.

Titre original : The Chronicles of Narnia: The Voyage of the Dawn Treader

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Durée : 115 mn


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