Le Marquis de Saint-Évremont

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Adaptée de Dickens, une vision de la Révolution Française pleine de bruit et de fureur, mais aussi terreau d’une poignante rédemption.

Cette adaptation du roman éponyme de Charles Dickens nous offre un captivant et tumultueux mélodrame historique, sommet des productions d’un David O’Selznick officiant encore à la MGM. L’intrigue développe une tonalité tout à la fois romanesque et respectueuse de la réalité historique, entremêlant constamment l’intime et la grande Histoire. Cela fonctionne notamment par un usage volontaire des grands archétypes associés à cette période pré-révolutionnaire. L’ouverture nous plonge donc dans une France faisant office de poudrière prête à exploser. Les tableaux de misère sont saisissants avec ce peuple s’abreuvant de flaques d’eau insalubre, les nobles et aristocrates sont plus abjects les uns que les autres tel un Basil Rathbone en Marquis de Saint-Évremond écrasant sans un regard les enfants ayant le malheur de se trouver sur le chemin de sa calèche lancée à toute vitesse. Même en nuançant le propos on retombe dans ces mêmes archétypes avec un Charles Darney (Donald Woods) en neveu de Saint-Évremond reniant l’attitude de son oncle et défenseur du peuple.

La vraie émotion naîtra surtout avec les retrouvailles poignantes entre le Dr Manette (Henry B. Walthall) embastillé depuis dix-huit ans et sa fille Lucie (Elizabeth Allan), tandis que l’originalité se ressentira dans la nature très feuilletonesque donnée à ces prémices de la Révolution amorcée bien en amont par la société secrète des « Jacques ». Cruels au point d’en être grotesque (le Marquis de Saint-Évremont), vertueux jusqu’à en paraître lisses (Charles Darney et Lucie), tous ces personnages et ce contexte historique ne nous paraîtront plus palpables qu’avec l’arrivée de Carton (Ronald Colman) dans l’intrigue. Dénué de l’égoïsme des aristocrates, de la soif de vengeance du peuple et de la bienveillance des républicains, Carton ne sert finalement que le mépris qu’il a de lui-même et l’auto-destruction à laquelle il se livre dans ses beuveries. C’est un être plus faillible et humain dont nous pouvons épouser le regard. On découvre ainsi autant ses aptitudes (remarquable scène d’enquête et de procès) que les démons qui le rongent par ses interactions avec les autres personnages qu’il fait réellement exister. Lucie, par sa sollicitude pour lui, devient un touchant enjeu d’amour platonique qui le forcera à se montrer sous un meilleur jour jusqu’au magnifique sacrifice final. Ronald Colman, qui caressait depuis longtemps le rêve d’interpréter le personnage de Dickens, offre une prestation subtile et poignante. Les nuances et contradictions de Carton exprime ainsi une certaine idée du libre arbitre où la bonté naîtra plus d’un éveil de notre for intérieur que d’une idéologie.

À l’inverse, les mouvements collectifs même bien intentionnés sont voués à l’échec moral. Les scènes de procès où l’esprit de revanche a plus cours que la vraie justice (tout aristocrate plus ou moins lié à eux étant condamné à mort dans ce règne de la terreur) renvoient finalement les révolutionnaires et nobles dos à dos, les premiers faisant preuve de la même indifférence que les seconds en méprisant une caste entière sans se préoccuper de l’individu. Les équipes de la MGM offrent une direction artistique époustouflante portée par la mise en scène inspirée de Jack Conway encore sous haute influence du muet lorsqu’il use grandement de phrases exaltées s’affichant à l’écran pour appuyer les moments les plus évocateurs de l’oppression puis de la révolte du peuple. La caméra s’attarde sur les regards mornes puis enragés, les élans collectifs se font dans des mouvements de caméra amples où la conscience et la colère semblent monter comme un seul homme au sein d’une population qui a subi trop d’injustices. Mme Defarge (Blanche Yurka), la plus enragée de tous, exprime à elle seule cette furie qui renverra finalement à des motifs plus personnels. Le plus impressionnant morceau de bravoure ne sera cependant pas dû à Jack Conway mais plutôt à Val Newton et Jacques Tourneur à la seconde équipe qui signent l’incroyable séquence de la prise de la Bastille, d’une ampleur et d’une intensité stupéfiantes. Conservant sa liberté d’action et de pensée jusqu’au bout, Carton se détache de toute cette fourmilière indistincte pour finalement signer l’acte le plus noble du film dans une belle conclusion où la fin imminente se confond, lors du plan aérien final, avec un sentiment d’éternité.

 

Titre original : A Tale of Two Cities

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Durée : 128 mn


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