Le Loup de Wall Street

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La fougue et l´inventivité du jeune chien fou alliées à la maîtrise du vieux briscard pour cette odyssée au bout de l´excès des nouveaux affranchis, ceux de Wall Street.

Une des scènes les plus mémorables des Affranchis (1990) dépeignait du point de vue intoxiqué de son héros Henry Hill (Ray Liotta) une journée typique de ce mafieux entre deal, vie de famille et visite à sa maîtresse. Le montage syncopé et la mise en scène anarchique de Scorsese illustrait à merveille le degré d’inconscience, d’impunité et de dépravation de son héros tellement perché qu’il ne se rendait pas compte que ses faits et gestes étaient enregistrés par la police le surveillant. Le Loup de Wall Street est tout simplement une extension sur trois heures de cette séquence du film de 1990 avec cependant une grande différence. Mean Streets (1973), Les Affranchis et Casino (1995) avait démystifié la mafia de l’aura aristocratique que la saga du Parrain avait pu lui conférer. Les malfrats y étaient des beaufs incultes, machos et violents bien loin de la dimension shakespearienne de Don Corléone. Sans négliger leurs tares bien réelles donc, Scorsese entourait ces ordures d’une aura nostalgique et presque attachante puisqu’ils étaient liés à son propre passé où, gamin de Little Italy, il les observait de sa chambre rouler des mécaniques.

Dans Le Loup de Wall Street, ce type de filtre est totalement absent. Comme le soulignera un dialogue, le héros carnassier Jordan Belfort (Leonardo Di Caprio) n’a pas pour justifier ses dérapages l’excuse d’un environnement ou d’une lignée propice à mal tourner. C’est un monstre qui s’est fait tout seul et, si ce n’est une hilarante introduction où Matthew McConaughey l’initie aux arcanes du métier, Scorsese se soustrait à toute forme de narration classique pouvant nous attacher à Belfort. Il est immédiatement cupide, dépravé et junkie, qualité essentielles pour soutenir le train d’enfer qu’exige la réussite à Wall Street. Seuls les impitoyables ne regardant jamais en arrière et indifférents aux mal qu’ils font seront bénis des dieux de la finance. Scorsese capture cela dans un éreintant maelstrom de cocaïne, orgies et dérapages en tout genre où Belfort, en Méphisto des temps modernes, écœure et fascine par sa désinvolture et son égoïsme. Plans séquences virtuoses, nudité et scatologie en pagaille, Le Loup de Wall Street est un spectacle excessif osant un burlesque monstrueux et hilarant tel cette longue scène où un Di Caprio totalement stone rampe de longue minutes au sol jusqu’à sa voiture.

 

En adaptant le roman éponyme du vrai Jordan Belfort, Scorsese adopte le point de vue si éloigné des réalités de ses requins sans conscience et nous emmène dans un monde parallèle monstrueux où les filles sont aussi belles que légères, où chaque décor déborde d’un clinquant nauséeux sur la longueur. Le réalisateur ne se laisse jamais déborder par cette outrance et nous mitraille d’informations cruciales – la réussite étonnante de Belfort se faisant par la vente de titres dépréciés et sans valeur au quidam moyen plutôt que dans les hautes sphères – ou futiles, comme cette revue de détail des différentes type de prostituées. Le traitement pourrait presque faire penser à une transposition parfaite de Bret Easton Ellis, mais Scorsese est pratiquement l’inventeur de ce type de narration virevoltante dans ses films mafieux.

Avec un Leonardo Di Caprio en état de grâce, il trouve l’acteur idéal pour incarner à lui seul l’excès et la folie d’un monde et d’une époque. Monté sur ressort de la première à la dernière seconde, Di Caprio délivre une performance de haute volée avec en sommet ce discours furieux de ving minutes pour galvaniser ses troupes lors de la mise en bourse de nouveaux titres. Après avoir passé les années 2000 à fuir sa photogénie dans des rôles torturés et sombres, la star l’assume aujourd’hui en dissimulant ses démons sous une prestance et un glamour impeccable en cette année 2013 où Django Unchained, Gatsby le Magnifique et enfin ce Loup de Wall Street révèlent un bouillonnement malsain derrière le dandy playboy. L’Oscar qu’il mérite depuis longtemps serait une juste récompense et Scorsese l’entoure parfaitement d’une jeune garde comique US portée par Jonah Hill – le réalisateur, dans ses dérapages vulgaires, s’appropriant parfaitement le ton de cette nouvelle génération. Ce ton si particulier évite le décalque avec Les Affranchis/Casino, même si on ressent la filiation évidente, notamment lors du final. Scorsese fait preuve d’une vitalité proprement stupéfiante après une si longue carrière et l’on n’est pas près d’oublier cette odyssée chez les nouveaux monstres.

Titre original : The Wolf of Wall Street

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Durée : 179 mn


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