Le Cinéma du milieu

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Un soir. Devant la petite lucarne, une femme s´élève contre une injustice qui prend trop d´ampleur. Ce fut la nuit des Césars 2007, la cinéaste Pascale Ferrand défendait un cinéma du milieu. Et maintenant ?

Un discours savamment pensé. Des mots crus et poétiques à la fois. Pascale Ferran utilisait un verbe alléchant, entourant les hypocrites, les fustigeant d’être omniprésents dans un système qui n’a jamais eu besoin de leurs réflexions, de cette tendance d’un cinéma qui malheureusement rime avec gala. Beau texte qui remplit la salle d’une émotion conséquente. « Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ce qu’on appelait les films du milieu – justement parce qu’ils n’étaient ni très riches ni très pauvres – étaient même une sorte de marque de fabrique de ce que le cinéma français produisait de meilleur » Idée géniale de donner un titre à ce cinéma, à cette nouvelle marque de fabrique, à ce groupe qui continue inlassablement de respecter le spectateur, de l’emmener visiter des musées hilarants, de leur donner la main pour des ballades sensoriels, délicats, érotiques, fantastiques et surtout cinématographiques. Capitaine Achab de Philippe Ramos déroute mais impose, La Graine et le mulet énerve mais s’implique, Lady Chatterley ne répond pas aux conventions des adaptations littéraires mais rafraîchit.

« Or ce sont ces films-là que le système de financement actuel, et en premier lieu les chaînes de télévision, s’emploie très méthodiquement à faire disparaître » Ce n’est plus une légende, c’est un fait. La télévision produit la majorité du cinéma français. Entre financer un projet et s’approprier l’œuvre, il n’y a malheureusement qu’un fil qui sépare tout ce petit monde. Regrettable constat ! Il n’est pas rare de nos jours de dire que tel film fut réalisé pour une future diffusion audiovisuelle avec toutes les concessions qui en découlent. La réflexion, l’inventivité, le décalage ne sont plus de rigueur. Place aux facilités scénaristiques, aux drames psychologiques redondants qui ne posent plus les problèmes mais les esquivent pour mieux faire passer la pilule, aux pâles copies des comédies hollywoodiennes des années 30, aux films de genres sans saveur, aux formatages conséquents. « En assimilant les films à vocation artistique aux films pauvres et les films de divertissement aux films riches, en cloisonnant les deux catégories, en rendant quasi impossible pour un cinéaste d’aujourd’hui le passage d’une catégorie à une autre, le système actuel trahit l’héritage des plus grands cinéastes français ».

Dans les années 60, il y eut la Nouvelle vague. Quoiqu’on en pense, elle sut imposer de nouvelles méthodes de filmage, de tournage et de production. Aujourd’hui, le cinéma français a du mal à respirer, s’engouffrant dans des tournages coûteux, dans des mises en propos prétentieuses n’invitant jamais le spectateur à une réflexion intelligente et surtout refusant de s’impliquer, ce qui donne des œuvres qui correspondent à un cahier des charges poussiéreux. « Et leur volonté acharnée de ne jamais dissocier création cinématographique, point de vue personnel et adresse au plus grand nombre. Ce faisant, il défait, maille après maille, le goût des spectateurs ; alors même que, pendant des décennies, le public français était considéré comme le plus curieux, le plus exigeant, le plus cinéphile du monde ».

Cette violence économique pose un problème important et créa dans la foulée le terme pas si joyeux de « cinéma du milieu ». Le mode de financement régresse considérablement entraînant dans sa chute des festivals, des associations, des salles de cinéma et bien évidemment des projets cinématographiques qui ne voient jamais le jour faute d’aides. Lorsque Pascale Ferran s’insurge contre ce déséquilibre, elle ne pointe pas du doigt des méthodes de filmage ou bien une certaine tendance d’un cinéma. Du tout ! Ce qui la gêne, ce qui l’horrifie et surtout ce qu’elle craint, c’est de perdre sa crédibilité, sa légitimité, sa place…son désir. Le cinéma de Ferran, c’est celui de Desplechin, Ramos, Lovsvky, de Kechiche, Rohmer, Rivette, Nolot, Guiraudie, Breillat, Ackerman, Ruiz, un cinéma pour lequel elle donna toute son énergie, un cinéma qui lui ressemble et dont elle aimerait partager les forme poétiques, les envies sensuelles, un cinéma où le désir fait avancer le monde. Son cinéma en somme !

Aujourd’hui, la crise est toujours d’actualité. Pire, elle règne de main de maître. Les dirigeants, qui ne flirtent jamais avec le mot culture, poursuivent leur politique d’exclusion sans se soucier de ceux qui aimeraient affirmer leur existence le temps d’un film. Et puis, on lève la tête, on regarde la petite lucarne et on sourit : Abdelatif Kechiche a été récompensé pour La Graine et le mulet durant la nuit des Césars 2008. Claude Berri a produit le film. Mais les financements furent complexes…quelle juste milieu !


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