Auteur prolifique, Bertrand Blier a à travers sa filmographie (Les Valseuses, Tenue de soirée…) toujours voulu rire de tout avec tout le monde, avec un mauvais goût affiché n’empêchant pas jadis la créativité. Or ces dernières années, la lourdeur prend le pas sur l’imagination et le réalisateur-scénariste prend le risque de n’être absolument plus drôle. Après l’atroce Combien tu m’aimes ? (2005), mise en scène ridicule de la pseudo relation entre une escort jouée par Monica Bellucci et un Bernard Campan gagnant du loto au cœur malade, il réitère donc ici avec ce navrant Bruit des glaçons.
Le film se résume en une idée, que Blier n’exploitera pas réellement : la personnification de la maladie et sa confrontation avec le malade. Jean Dujardin incarne Charles, écrivain célèbre, divorcé à l’alcoolisme dépressif. Beurré à longueur de journée, il singe platement l’image d’Epinal de Balzac, réputé pour écrire enveloppé dans une lourde robe de chambre telle que le montre la célèbre sculpture de Rodin. La référence n’est pas totalement gratuite puisque la figure de Rodin réapparaît à plusieurs reprises dans le film et en assure le dénouement. Un bon matin, le cancer de Charles sonne à sa porte, sous les traits d’un Albert Dupontel en pleine représentation de lui-même. Subtilité poétique ( ?) : seul le malade et ceux qui l’aiment vraiment peuvent voir la maladie.
Plutôt que de jouer véritablement des possibilités d’une telle rencontre, Le Bruit des glaçons fait la course au bon mot, à la réplique qui tue (voilà que nous nous y mettons nous-aussi !). Blier fait quelques tentatives malheureuses pour instaurer un semblant d’ambiance fantastique (comprendre : il met une musique vaguement inquiétante). L’une des rares réussites du film, et encore, serait la mise en image littérale d’idées symboliques ou proverbiales. On voit donc Charles nourrir sa maladie, Dujardin donner la béquée à Dupontel, cristallisant en une image le projet du film d’unir comédie et drame. C’est sans doute l’un des rares moments où cela fonctionne, tant l’ensemble du film est aussi artificiel que donneur de leçon, à la recherche de ficelles narratives énormes pour toucher (et manquer) la corde sensible : monologues maussades en gros plans et regard caméra d’un Dujardin barbu et défait, violence des effets de la maladie, arrivée du fiston triste…
« Tu sais comment ça vit une jeune fille ? Ca danse et ça rigole, ça enchante le monde. »
Ou encore « Je te parle de l’âme. Nous les Russes, on parle de l’âme. » Voilà le type de clichés que sème le film. On aimerait bien croire qu’ils sont pure comédie, mais l’image ne dément pas vraiment, malgré les interventions ironiques du cancer. Dans Le Bruit des glaçons, entre la maman et la putain, faut choisir : la jeune et blonde Russe qu’on désape plusieurs fois parce que ça fait joli à l’image ou la boniche brune virginale (Anne Alvaro, mais qu’allez-vous faire dans cette galère ?), qui déclare sa flamme sur fond de chant religieux et ne se dévêt pas quand elle couche . Atteinte d’un cancer qu’elle cachera, elle va accompagner le grand malade et le sauver un peu de lui-même. Une vraie sainte.
Plutôt que de régler quelques imprécisions par une mise en scène intelligente, Blier fait régulièrement interrompre la narration par ses personnages venant clarifier les situations par le flashback, l’explication redondante ou l’utilisation à outrance du regard caméra. Autant d’éléments supposés démontrer que l’on n’est jamais dupe de ce qui se passe, mais ne faisant qu’amplifier la lourdeur générale du film. Ajoutez à cela une louche de sentiments pas trop compliqués à digérer (« Aimer, c’est ce qu’il y a de plus beau »), une impression de « déjà-vu ailleurs » face à certaines scènes, des règlements de comptes faciles (le Goncourt, l’Académie…), et Le Bruit des glaçons finit de ruiner une sacrée belle idée. Impardonnable, Blier parvient même à aseptiser quelques monuments de la chanson (Nina Simone et Leonard Cohen). Ce cancer-là est une vraie plaie.