La Porte de l’enfer (Teinosuke Kinugasa, 1953)

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Ressortie en version restaurée de « La Porte de l´Enfer » (1952), fruit d´un travail expressément artistique qui valut à son réalisateur le Grand Prix du Festival de Cannes en 1953.

Au XIIe siècle, dans un Japon ravagé par une guerre civile, Môritô (Kazuo Hasegawa), un samouraï héroïque, échappe à la mort tout en sauvant la vie d’une dame de la cour impériale, Kesa (Machiko Kyô), dont il s’éprend rapidement. A la fin des conflits, quand vient l’heure des récompenses, Môritô demande à son souverain la permission d’organiser un rendez-vous avec la jeune femme. Il découvre ainsi que celle-ci est déjà mariée à un autre homme, Wataru (Isao Yamagata). Ne pouvant se résoudre à l’oublier, Môritô cherche par tous les moyens à courtiser Kesa et en vient rapidement à se confronter à son mari. C’est alors qu’un soir, parvenu au plus fort de sa frustration et de sa jalousie, le samouraï projette d’assassiner le mari de l’élue de son coeur.

Adapté de la pièce du très célèbre écrivain japonais Kan Kikuchi, elle-même inspirée de faits réels, le scénario du film est habilement élaboré autour de grands axes narratifs. A chaque partie du long métrage correspond une approche et un style singuliers. Ainsi, le récit, dans un premier temps, se développe comme une fresque historique (le film correspond symboliquement à la mise en scène d’un emaki – un rouleau que l’on déroule et sur lequel sont dessinées des figures historiques ou imaginaires). Il privilégie de fait les décors en extérieurs, les scènes de foule ou de combat. Il s’appuie également sur un montage relativement rapide, qui met en relief l’urgence de l’action, la nécessité du conflit et le caractère irrémédiable de son déroulement.

 

Le scénario, peu à peu, change de rythme. Il réduit considérablement le nombre de ses personnages, favorise les scènes de dialogues se déroulant à la cour de l’Empereur, privilégie de cette manière les décors en intérieurs et se veut ainsi plus intimiste. En se focalisant sur les seuls personnages du mari, de la femme et du prétendant, le récit aborde une tournure bien plus dramatique et captivante qu’en son début. La principale différence entre l’ouverture du récit et son achèvement tient principalement à la cristallisation progressive des coordonnées temporelles. Si le début du film s’articule sur des ellipses plus ou moins marquées, la fin – les vingt dernières minutes – se déroule en une seule séquence dont tout le reste du récit semble constituer une sorte de long prologue. Le passage effectivement étire la tension dramatique à son maximum en réduisant à l’essentiel le drame qui s’est noué jusqu’ici.

En réalité, le glissement du registre dramatique est intégré au sein d’un entrelacement de dynamiques expressives, toutes aussi soigneusement travaillées les unes que les autres. L’une d’entre elles concerne le traitement psychologique du personnage de Môritô. Tout d’abord présenté comme un héros, tant par sa prestance physique que morale, le personnage finit par devenir agressif, lâche et calculateur, rongé par sa passion pour Kesa. La conception de Môritô prend un certain poids dans la mesure où chaque événement parvient à refléter l’évolution du protagoniste.

Enfin, les dernières dynamiques à la base du film passent à travers le travail sur l’image elle-même. La Porte de l’Enfer bénéficie en effet de deux atouts importants : la recherche, d’une part, d’une mise en cadre intéressante et originale qui consiste à exploiter les configurations spatiales dues à l’architecture domestique japonaise et à ses ornements ; d’autre part, le jeu sur les couleurs très largement employé tout au long du long métrage. S’ouvrant sur des tons vifs, éclatants et lumineux, le film bascule, particulièrement dans la dernière séquence, vers des couleurs froides, ternes et nocturnes.

L’impact visuel du film de Kinugasa puise sa force dans le désir de rendre cohérent la limpidité des éléments narratifs avec la mise en oeuvre de solides moyens expressifs. Dans cette perspective, La Porte de l’Enfer est une réussite, un incontournable du cinéma japonais et, aussi sûrement, du cinéma.

Titre original : Jigoku-Mon

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Durée : 85 mn


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