Transfert de structures
Pour paraphraser l’anthropologue Lévi-Strauss, auteur des Structures élémentaires de la parenté, La Planète des Singes met en scène le transfert des structures dites « élémentaires » de l’humanité. Parmi ces structures se retrouvent le plus naturellement du monde les divisions sexuelles (mâles/femelles), sociales (peuple/élite) et politiques (masses/chefs) propres au monde humain, ainsi qu’un certain nombre de sentiments : pitié, sentiments familiaux, justice…
Bien entendu, ces structures n’ont rien à voir avec celles des grands singes : on a rarement vu une femelle chimpanzé aussi sexualisée que Lake, la belle-fille de César (Andy Serkis), qui frise le ridicule avec ses boucles d’oreille, et qui, contrairement aux mâles farouches, accepte de travailler pour les humains, afin de ne pas voir les petits singes maltraités.
En face, les humains versent dans le chaos : d’un côté les crypto-fascistes conduits par le Colonel (Woody Harrelson), de l’autre ceux atteints par une épidémie qui les rend muets. L’anarchie contre l’ordre. En grossissant ainsi le trait manichéen entre le Mal et le Bien, La Planète des Singes opère tranquillement la naturalisation de structures socialement construites – tels le genre, la classe, l’organisation politique – et donc contingentes. Comme si sauver l’humanité impliquait de préserver tout ce qui la corrompait.
À commencer par l’horripilante rhétorique du pathos. Pas un plan qui ne soit gangréné par les violons élégiaques et les cordes lyriques. Pas une scène où l’on ne cherche à provoquer la petite larme. À force de sursignifier l’émotion, le film se vide évidemment de tous sentiments réels, pour ne ressembler plus qu’à un immense champ de clichés, tous plus honteux les uns que les autres.
Il suffit de voir le plan final pour comprendre à quel point La Planète des Singes pille le cinéma hollywoodien. Dans un plan large auréolé d’effets numériques, point à l’horizon l’aube d’un soleil nouveau sur la Terre promise enfin gagnée par le peuple singe. On se croirait dans Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956). Comme le pompeux péplum, La Planète des Singes s’acharne à narrer l’épopée d’un nouvel Exode, où les Singes, guidés par César/Moïse, remplaceraient les Juifs fuyant d’Égypte.
À l’heure de l’anthropocène et de la remise en cause de la toute-puissance humaine, il est grand temps de sortir du mythe glorifiant, et de voir dans un grand singe autre chose que le miroir de nos sagas lénifiantes.