La Peau douce (François Truffaut, 1964)

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Boudé par la critique et le public lors de sa sortie en salle en 1964, le 4e long métrage de Truffaut est aujourd’hui une oeuvre « culte ». Un beau film de voyeur triste sur une liaison adultère.

Les films tristes n’ont pas toujours l’heur de séduire, même quand ils ont l’élégance d’être en noir et blanc, nichant leurs ombres dans cette beauté calme, atténuant leur dérive dans cet espace-temps suspendu. La peau douce de François Truffaut est de ceux-là. Présenté au festival de Cannes en 1964, il sera largement boudé, tandis que, quelque temps plus tard, sa sortie en salle sera un échec. Aujourd’hui pourtant, le 4e long métrage de l’enfant chéri de la Nouvelle vague est considéré quasi-unanimement comme l’un de ses sommets. Et pas seulement parce qu’il y fait preuve d’un sens étincelant de la mise en scène.

Découpant comme rarement ses plans et son récit, Truffaut insuffle à cette histoire d’adultère un rythme sec, sans jamais flirter pour autant avec la précipitation. Et c’est saisissant. Ici, ce qu’il traque, ce qu’il observe avec la précision d’un entomologiste, c’est la lâcheté un peu molle d’une liaison bourgeoise entre un homme d’une quarantaine d’années (Jean Desailly), écrivain reconnu, installé, marié, et une jeune hôtesse de l’air (Françoise Dorléac), pétillante, coquette et libre. Nul jugement marqué, juste une tension lente mais permanente. Un sentiment de chute aussi.

Jamais, de fait, Truffaut ne frôle le convenu, encore moins la connivence lourde du boulevard. Ne serait-ce que par la modernité troublante, assez inconfortable, de son point de vue. La Peau douce, en effet, est un film de voyeur. Le regard de Truffaut, placé sous l’influence assumée d’Hitchcock, nous donne donc à voir, comme par incises, des clairs-obscurs, des frôlements, des attentes, voire des moments de fétichisme pur (la belle scène où Dorléac dort, observée, couvée par Desailly, dont on ne sait s’il va la caresser ou l’étrangler). Tandis qu’alentour un environnement cossu (le XVIe arrondissement de Paris, les hôtels) mais neutre, leur laisse tout l’espace pour se perdre… Même pertinence dans la trivialité quotidienne des dialogues, par ailleurs, qui disent en creux la banalité dépressive de cet amour adultérin. Donc son échec inévitable, in fine.
 

D’où, bien sûr, ce sentiment prégnant, irrépressible, de tristesse. De défaite annoncée, en tout cas. Sans doute est-ce dû, en partie, à la douceur solennelle, empruntée, un rien rigide du jeu (et du personnage) de Jean Desailly (remarquable), dont on pressent la fin tragique, presque stupide – comme son dernier regard – parce que bien trop ample, trop incandescente eût égard à sa candeur un peu fade. Ne jamais oublier que Truffaut… c’est l’homme qui aimait les femmes. On ne s’étonnera pas, dès lors, que ce soient ses héroïnes, et seulement elles, qui verbalisent et agissent, parlant d’amour avec fougue ou effronterie et que ce soient elles encore qui tranchent (l’une fuit, certes, mais avec panache et l’autre… condamne, radicalement). L’une (Françoise) et l’autre (Nelly) sont de toute façon nimbées de désir. Sensuelles, affirmées, tandis que les hommes restent présentés au mieux comme des raseurs (Ceccaldi).

Autant de raisons, passionnantes plutôt que douces cette fois pour, 45 ans après sa première sortie dubitative en salle, se laisser séduire enfin par cette tristesse ravissante. Littéralement.

Titre original : La Peau douce

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Durée : 118 mn


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