L’indigence globale des comédies françaises actuelles, vulgaires et nombrilistes à souhait, pourrait faire oublier que le genre connut jadis en France un âge d’or. La Métamorphose des Cloportes (1965) – pour la première fois édité en DVD chez Opening ce 03 novembre – est un exemple ô combien magistral de ce cinéma comique de très haute qualité, remarquable pour les films de cette nature tant l’entreprise demeure périlleuse, tant il est difficile de faire rire ses contemporains, au cinéma comme ailleurs.
Ce film de Pierre-Granier est donc un sommet du genre grâce à une incroyable profusion de talents. Plusieurs grands noms, dont la carrière de certains débute à ce moment-là, vont donc apporter leur contribution à l’ouvrage. D’abord des écrivains, au premier rang desquels on trouve Alphonse Boudard, auteur du roman éponyme dont Albert Simonin, le scénariste, va s’inspirer. Celui-ci collabore avec Michel Audiard, grand dialoguiste de ces années-là, formant un duo faisant merveille, les répliques d’Audiard semblant êtres écrites spécialement pour Ventura, qui joue le personnage principal, mais aussi pour Charles Aznavour, Pierre Brasseur (comme au théâtre), Catherine Verdier en charmante ingénue mais aussi Annie Fratellini et Maurice Biraud. Rien que ça, une pléiade d’acteurs au sommet de leur art. La gouaille parisienne, aujourd’hui quasiment disparue, dans la bouche de ces acteurs est un plaisir de gourmet résonnant à nos oreilles – et c’est bien là le talent d’Audiard – parfois comme de la poésie pure ou le mélange très réussi d’une langue châtiée et d’argot parisien. Ne pas oublier aussi, lorsque l’on essaie de définir cet idiome incomparable, sa dimension comique. Ainsi une indic lance-t-elle, lorsque des flics la questionnent : « Un homme ça dit jamais ou ça va , ni d’où ça vient. C’est plein de secrets. » Ou Tonton, collectionneur d’art (Pierre Brasseur) pour cette sentence : « Sur le plan de l’arnaque, les coups tordus ne sont rien, rien à côté de la peinture abstraite. »
Un classique
Ce film ne se contente pas d’une pléiade d’acteurs géniaux et de la signature des meilleurs scénaristes du moment. Il bénéficie – et c’est là sa grande force si on le compare au célébrissime Tontons flingueurs de Lautner – d’une mise en scène exceptionnelle, d’un très grand classicisme. C’est donc Pierre Granier-Deferre qui est à la manœuvre. Il en est à son troisième long-métrage et deviendra par la suite un maître du cinéma français des années 70 avec notamment La veuve Couderc (1971) et Une femme à sa fenêtre en 1976. Dans cette Métamorphose, le noir et blanc est sublime, certains plans d’une grande beauté, tels par exemple ce strip-tease dans un cabaret voisinant avec des musiciens de jazz sous un halo de lumière blanche. Enfin il faut souligner – last but not least – les orgues jazzy de Jimmy Smith, compositeur de la musique du film.
Granier-Deferre compose subtilement avec les codes du polar pour concocter une satire drôle et subtile à la fois. Tout est prévu pour donner une distance amusante pourtant jamais lourde (la scène du meurtre dans le manége ou encore celle du Fakir).
La Métamorphose est le titre d’une nouvelle de Kafka ; Nietzsche parlait lui aussi de métamorphoses. Nul besoin pourtant de se faire ici des nœuds au cerveau. La métamorphose – qui étymologiquement signifie transformation –, dans ce film, n’en est pas une. La morale pourrait se résumer à celle-ci : les hommes sont des cloportes et ils le restent, quelle que soit l’enveloppe dont ils se parent. Ecoutons donc Lino en guise de conclusion : « Pas un mot, pas un colis, pas un mandat, rien ! C’est drôle quand vous êtes en forme : ils sont toujours là. Ça s’appelle des amis et dès que le temps se couvre, ils disparaissent sous les portes et dans des murs, fuyants, furtifs, des cafards, des cloportes ! »
Bonus
-Archives INA avec les interviews de Lino Ventura, Michel Audiard, Pierre Granier-Deferre, Maurice Biraud…
-Pierre Granier-Deferre et l’adaptation
-Interview de Denys Granier-Deferre, réalisateur (13’)
-Granier-Deferre vs Audiard
-Interview de Philippe Durant, biographe de Michel Audiard (13’)