La Lisière

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Objet disgracieux et bourré d’idées, « La Lisière » passionne et déçoit tout à la fois.

Il s’agit là d’un film imparfait mais néanmoins intrigant de par la manière dont la cinéaste – Géraldine Bajard, qui signe ici son premier long-métrage – parvient à y faire la preuve d’un point de vue original, tout en affirmant un style nourri d’influences variées. Cela contribue au sentiment d’une grande vivacité de l’ensemble qui demanderait sans doute à être mieux canalisée par moments.

On y suit les pérégrinations d’un jeune médecin fraichement diplômé (François, interprété par un Melvil Poupaud qu’on n’avait pas vu si trouble depuis longtemps), quittant Paris pour venir s’installer à Beauval, petite cité provinciale nouvellement édifiée sous l’égide de mystérieux investisseurs étrangers. Alignements de pavillons neufs dans de larges allées à la propreté douteuse, comportements pour le moins inquiétants des habitants peut-être trop naïfs pour être honnêtes, ambiguïté des jeux d’une bande d’ados se réunissant chaque nuit dans la forêt : tout semble vouloir faire signe en direction d’une culpabilité mystérieuse qui pourtant ne cesse de se dérober. Aucune révélation en point de mire, mais au contraire l’engloutissement dans une extrême étrangeté qui ne cesse de s’alimenter elle-même. Car ce n’est pas le mystère en lui-même mais sa seule épaisseur et le pouvoir de fascination en résultant qui semblent ici intéresser la cinéaste. D’où cette obsession parfaitement assumée pour l’entre-deux, parfois jusqu’au vertige, le titre faisant à cet égard office de programme un peu fourre-tout. Ici, tout est « lisière » et prétexte à de surprenantes confrontations. L’Autre est toujours à côté de soi.

Véritable corps étranger dans un univers immédiatement perçu comme hostile, le personnage du médecin sera le vecteur de cette vision fantastique qui va imprégner l’ensemble du film. Sous son regard se trouvent ainsi sondées les marques d’une hyperactivité pulsionnelle à la limite du déchaînement, qui sera pourtant chaque fois désamorcée. C’est ainsi par son intermédiaire que nous est livrée la signification des rituels adolescents – notamment d’un groupe de jeunes filles qui vont chacune s’amuser à tour de rôle à simuler une fièvre ou une maladie auprès de leurs parents, afin de recevoir une visite nocturne du médecin et pouvoir ainsi mesurer et comparer leurs impressions quant à son pouvoir de séduction. Une signification qui restera fermée aux adultes. Géraldine Bajard réussit à faire naître l’étrangeté de presque rien. Des gestes anodins – l’auscultation d’une ado par le docteur, un échange de regards avec un jeune garçon en train de nettoyer une terrasse, la vision d’un petit groupe surpris lors d’une promenade nocturne – se chargent d’une force d’évocation démesurée, suggérant l’omniprésence d’une menace indescriptible. C’est un peu le côté lynchien du film, avec cadavres sous la pelouse. Le fantastique investit l’ordinaire, le quotidien. Sans que l’on ne voie rien de spécial, tout prend une dimension disproportionnée. Le travail de la chef-opératrice Josée Deshaies n’est pas étranger à ce résultat. La beauté de ses images évoque parfois le frémissement inquiétant et merveilleux des forêts dans certains films de Fritz Lang ou Jacques Tourneur.

La Lisière est également un objet hybride, issu d’une coproduction franco-allemande et marqué de différences de style notables. Il fait ainsi coexister par moments une caméra sauvageonne, attentive à la chair, aux frôlements des corps et à l’éveil du désir avec une stylisation glacée à la limite de la désincarnation, caractéristique d’une partie du nouveau cinéma allemand que la réalisatrice a pu côtoyer par sa participation à certains films de Pia Marais, Ulrich Koehler et Jessica Hausner. Cette disparité très affirmée dans l’image est sans doute la plus belle idée du film, tant elle contribue au maintien de l’incertitude de son univers. Malheureusement, l’ensemble s’essouffle au deux tiers, alors que la cinéaste, oubliant ses intentions premières, entreprend de s’encombrer d’un artifice scénaristique particulièrement convenu qui va nuire à l’étrangeté du film, le formatant et lui donnnant presque à un moment la surprenante apparence d’un épisode de série télé sans grande originalité. Restent de belles intentions, quelques fulgurances et les promesses d’un talent de cinéaste. On attend la suite.
 

Titre original : La Lisière

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Durée : 100 mn


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