La Gardav

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Kafka version Risi

Mathieu, un jeune acteur ambitieux, mais plutôt maladroit, galère pour boucler sa bande démo. Une connaissance, Ousmane, lui propose de tourner dans son clip de rap avec deux autres amis, mais le tournage ne va pas se passer comme prévu.

La Gardav commence dans un endroit clos, où l’audition de Mathieu s’effectue : ce dernier entame une série de variations truculentes et burlesques sur le thème demandé : une arrestation suivie de la fouille d’un suspect. Le ton semble immédiatement donné. Celui de la comédie, avec un personnage lunaire, proche d’un Pierre Richard par sa logorrhée, voire d’un Buster Keaton pour sa placidité. Notre intuition se confirmera par la suite, lors des différentes péripéties que notre héros connaîtra avec ses deux compagnons d’infortune.

Mathieu, avec le concours d’un père de famille pressé de rendre la voiture à son épouse pour qu’elle parvienne à récupérer leurs 5 enfants à la sortie des écoles, et d’une jeune femme au caractère affirmé, va donc commencer le tournage du clip d’Ousmane dans une cité du 20è arrondissement, avec la complicité des jeunes qui foncent vers nos trois compères incarnant des policiers de la BAC. La première prise paraît bonne, mais notre réalisateur souhaite une seconde prise afin de varier les plans. Sur ces entrefaites, une véritable équipe de police arrive, et les quiproquos, les embrouilles, les soucis commencent, par lots : tournage sans autorisation préfectorale, port de brassards et d’armes, même fausses équivalant à des usurpations de fonctions policières, sacoche contenant des substances illicites, et découvertes d’une cinquantaine de sachets contenant de la poudre blanche. Les jeunes de la cité ont disparu à la vitesse de l’éclair, ainsi que l’équipe de tournage à l’esprit légèrement embrumé, avec, évidemment, le réalisateur. Le ton monte ensuite entre les trois comédiens suspectés par les forces de l’ordre d’être de dangereux narcotrafiquants, et nos protagonistes se retrouvent au commissariat, inculpés de plusieurs délits face à des agents butés et désabusés face à ces innocents qui subiront le fatalisme pesant des enquêteurs empêtrés dans les œillères de leur routine.

Ce long-métrage, inspiré d’une histoire vraie, alterne moments de burlesque pur, ironie face à l’impéritie humaine et bureaucratique de la police, réalisme touchant du trio gardé à vue et emprisonné révélant des traits de caractère plus subtils qu’initialement. La brigade de comédiens présents dans La Gardav permet ces variations entre rire et drame, instants d’émotions et de suspensions, conférant à certaines scènes une poésie inédite. Tous se montrent parfaits dans les partitions qui leur sont allouées.

Film comique, satirique, qui assume une filiation avec les comédies italiennes des grandes heures, La Gardav, sur un motif qui aurait pu tourner au tragique voire à la mièvrerie, nous ouvre des portes d’humour mais aussi de réflexion sur certains aspects kafkaïens de notre monde contemporain à la manière d’un Risi, Scola, ou Monicelli.

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Durée : 86 mn


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