J. Blakeson disposait de moins de 100.000 dollars pour réaliser La disparition D’Alice Creed. Qu’à cela ne tienne, ce petit budget ne l’empêchera pas de mener à bien son projet : faire un film d’enlèvement, genre connu, mais « en le poussant dans ses retranchements, un peu à la façon de Panic Room de David Fincher », précise le jeune cinéaste. Le pari est risqué car le synopsis (un enlèvement) n’a rien d’original. Il fallait donc éviter les redites classiques du gendarme et des voleurs et les codes du polar de manière générale.
Concocter une histoire impeccable donc : ce sera chose faite et si La Disparition d’Alice Creed est un très bon film, c’est grâce au scénario de Blakston qui, il est vrai, en connaissait déjà un rayon puisqu’il était scénariste avant de s’attaquer à la réalisation. Le jeune cinéaste a choisi de faire évoluer ses personnages dans un huis-clos. Danny et Vic enlèvent une jeune femme, ils la séquestrent dans un appartement capitonné, la bâillonnent et l’attachent sur un lit. Ces premiers moments ne souffrent pas de sous-entendus : nous sommes du côté d’Alice, dont la soudaine privation de liberté ne peut qu’émouvoir, d’autant plus que les conditions de détention infligées par ses deux ravisseurs sont insupportables. Donc, dans un premier temps, la situation est déjà vue et les caractères sont archétypaux. Danny, le chef psychopathe joué par Martin Compston qui s’est illustré dans Sweet Sixteen de Ken Loach en 2002 et son jeune complice Vic (Eddie Marsan) espèrent une rançon, et en attendant s’occupent de leur prisonnière. Mais très vite les choses vont prendre une tournure déconcertante.
Autour d’une douille
Une atmosphère étrange, à la fois violente et cocasse s’installe grâce à la mise en scène. C’est le grand talent de J. Blakeson de nous surprendre à intervalles réguliers, si bien que l’on ne sait jamais sur quel pied danser. L’intrigue est toujours sur le même tempo, mais le metteur en scène sait faire évoluer ses personnages. Les caractères des uns et des autres se métamorphosent et suivent une intrigue qui va de rebondissements tragiques en secousses comiques. L’inénarrable vient se fondre sur la tragédie (et vice versa) sans qu’à aucun moment le récit ne dévie de sa trajectoire et que la tension ne s’estompe. Blackson affirme avoir pensé au Dennis Hopper de Blue Velvet, qui provoquait amusement et crainte. Il est vrai que cet exemple semble parfaitement adapté pour caractériser le double effet de certaines scènes provoqué par les situations et le jeu des acteurs. À l’instar de David Lynch, Blakson ne ménage pas vraiment le politiquement correct et la morale mais sans jamais avoir la volonté de choquer, seulement pour incérer dans le récit une dimension ironique, pince-sans-rire. Il n’hésite pas par exemple à jouer avec l’identité sexuelle de ses personnages.
Blakeson parvient donc à tenir un véritable suspense rare de bout en bout. Pour preuve, une simple douille de pistolet échouée sur la moquette de la chambre devient l’épicentre d’une scène d’une tension extrême. Plus tard, cette même douille, ridicule objet de 2 ou 3 cm, lorsque l’un des malfaiteurs voudra s’en débarrasser, redeviendra l’enjeu d’un suspens haletant. Mais jamais le cinéaste ne se prend au sérieux. L’on perçoit toujours et simultanément à la tension montrée (mais jamais démontrée) une dérision, un comique sous-jacent qui viendraient dire d’une certaine manière : « ce n’est que du cinéma ».
Haletant, rythmé et servi par un trio d’acteurs qui gagnent à être reconnus – et notamment la pulpeuse Gemma Arterton qui fût James Bond Girl en 2002 dans Quantum of Solace, le film de J Blakeson est une petite merveille qui sera, nous l’espérons, la première de nombreuses autres.