Stuart Heisler a réalisé ce drame au tout début des années 40, durant la grande période du film noir. Adaptant un roman de Dashiell Hammett, les figures emblématiques du genre sont bel & bien là : le détective, individualiste et parfois violent, cherchant seul à résoudre l’Affaire, et la femme fatale, dévorant l’homme et l’entraînant vers sa chute. Dans La Clé de verre, on baigne dans un paysage urbain ténébreux où politique et mafia se mêlent au crime, à l’amour, la fidélité et la trahison. Tous les éléments sont donc réunis.
Paul Madvig, agent électoral très puissant, décide de soutenir la candidature de Ralph Henry, simplement par amour pour sa fille, Janet. La femme fatale entre en scène. C’est par elle que l’intrigue s’ouvre et se fermera par la suite. D’autres personnages gravitent autour de ce cercle : Ed Beaumont, le bras droit de Paul Madvig, Opal, la sœur de ce même Paul ainsi que Nick Varna, gérant de salles de jeux, et ses acolytes qui ne voient pas d’un bon œil le soutien apporté par Paul Madvig à Ralph Henry. Le cercle est désormais au complet.
Un meurtre est commis, celui de Taylor Henry, fils du politicien. L’enquête est lancée. L’étau va se resserrer petit à petit.
La figure du héros, que l’on pense tout d’abord être incarnée par Paul Madvig, se déplace peu à peu vers Ed Beaumont, véritable protagoniste du récit. Or, celui-ci symbolise le mystère. En effet, loin d’être très honnête et droit, il maintient une certaine ambiguïté qui plonge le spectateur dans le flou et l’incertitude. La Clé de verre repose sur ce personnage aux côtés sombres. Bourreau des cœurs, les femmes font partie intégrante de sa vie. Elles semblent être son talon d’Achille.
Son personnage, difficile à cerner, fait que le spectateur ne sait jamais réellement de quel côté il se situe, ce qui permet de le maintenir en haleine. Jusqu’à la fin du récit on ne saura si Ed Beaumont rime avec fidélité ou trahison.
Stuart Heisler s’est beaucoup (trop ?) attaché à ce personnage incarné par Alan Ladd. Certes, son caractère et sa gestuelle sont très travaillés, mais on sent que pour cela le réalisateur a quelque peu délaissé le scénario. Tout au long du film, le spectateur attend, frustré car le début laisse présager un film à suspense qui ne viendra jamais. La tension n’est pas au rendez-vous et le film ne réussit pas véritablement à prendre son envol. Le scénario est parfois bancal (la résolution de l’enquête semble par moments tirée par les cheveux) et assez décevant. S’y nichent aussi quelques invraisemblances et le récit manque parfois de fluidité.
En revanche, Heisler développe une idée très attrayante qui réside dans la symbolique suggérée par le titre, La Clé de verre. Grâce à cela, Stuart Heisler a tenté (et réussi) de mette en avant, de manière subtile, la fragilité des liens qui unissent certains personnages, notamment Paul Madvig et Ralph Henry. Dès le début du film, on réalise que le soutien que Paul Madvig apporte au candidat Henry n’est suscité que par la beauté de la fille de ce dernier (encore et toujours l’image de la femme fatale). Par cette action, Paul espère s’attirer la faveur de Melle Janet. Cette faiblesse du lien s’incarne alors dans la clé en verre (celle de la résidence Henry) que donne, par amitié semble-t-il, Henry à Paul. On verra par la suite comment cette clé de verre va se briser et l’attache se rompre instantanément. Le processus employé ici par le réalisateur est des plus intéressants.
Le scénario battant un peu de l’aile, le film repose essentiellement sur la force de ses personnages. Mais bien que ceux-ci soient très travaillés, ils ne peuvent à eux seuls porter le film tout entier.