Interdit aux moins de 18 ans – Morale, sexe et violence au cinéma – Laurent Jullier

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L’utilité des titres longs est d’être explicite : au nom de la sacro-sainte morale sociétale, le sexe et la violence sont interdits, du moins limités, aux mineurs de 18 ans.

L’époque étudiée part des années 70, l’âge d’or des films X pornographiques et violents, tous interdits aux mineurs de moins de 18 ans, aux années 2000, la renaissance des interdictions aux mineurs de moins de 18 ans. En fait, des successives limitations d’âges des commissions nationales de contrôle puis de classification des films (interdictions aux mineurs de moins de 12, 13, 16 ans…), l’interdiction aux moins de 18 ans est la pire, celle qui sanctionne le plus celui qui n’a pas encore la chance d’être adulte et de pouvoir juger de lui-même.

Dans l’introduction, L’éthique et rage de voir, le choix du film Le gouffre aux chimères de Billy Wilder, surprend. Certes, le film noir (et blanc) dénonce le « voyeurisme aveugle » d’un journaliste qui a trouvé la « poule aux œufs d’or » : un homme coincé dans un étroit puits se meurt, comme les secours sont impuissants à le sauver. Vivra-t-il ? Mourra-t-il ? Mais, de mes lointains souvenirs de ciné-club en VOST, ce film est dramatique et non érotique ou violent. Si l’on peut rapprocher la violence, la pornographie et le voyeurisme morbide, avec les frissons communs de (dé)plaisir des scènes de tortures, d’érotisme et de Mort en direct, pour reprendre le titre d’un film de Bertrand Tavernier, la comparaison du Gouffre aux chimères à un film X me paraît démesurée, le titre original, Ace in The Hole permettant, il est vrai, les plus folles élucubrations et métaphores symboliques. Sans doute, Thanatos succombe-t-il à Éros. Sans doute, la vérité – crue et nue – est-elle au fond du puits. Plus sérieusement, le premier chapitre, Policer le cinéma, après un bref rappel historique sur les origines de la censure née d’une circulaire ministérielle de Béthune de 1909, s’étend sur les années 70 qui enfantent à grands cris le cinéma X. L’essayeuse de Serge Korber, ixifié, dûment visé et surtaxé, est cependant condamné à la destruction par le juge, soulignant l’absurdité du droit français qui oppose le Code du cinéma au Code pénal.

Les années 2000 voient l’affaire Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. Le film, reconnu pornographique par le Conseil d’État, relance l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans – qui avait été supprimée en 1990 – qui frappe derechef Ken Park de Larry Clark et d’Edward Lachman, et Nine Songs de Michael Winterbottom, en 2004. En France, la censure officielle est double : c’est celle, consultative, de la commission nationale de classification des œuvres cinématographiques et, celle, décisive du ministre chargé du cinéma. L’auteur aborde aussi la « classification » américaine. Le chapitre 2, Quels risques à s’exposer aux films ?, relance l’éternelle question de l’influence du cinéma sur les esprits influençables, question née avec le cinématographe et toujours non résolue, nonobstant les rapports Kriegel et Brisset de 2002. Les chapitres 3, 4 et 5, Les spectacles troublants et leur mise en scène, Croire aux images et Éthique de la réception, posent les problèmes relatifs aux morales de la création et de la lecture et à leur interprétation. Le chapitre 6, La guerre des tranchées, revient au cinéma X. Pour ou contre ? Censeurs et libéraux ne cessent d’opposer leurs arguments.

La conclusion, Pour une esthétique incarnée, répond de plus belle à cette question. La solution : « tout le monde a raison en même temps », n’étonne pas. L’auteur est impartial, ne veut forcer personne et écoute tous les camps. C’est là sa force. Mais ce qui fait l’originalité de ce livre – somme toute collectif – est que chaque fin de chapitre voit intervenir des spécialistes donnant leurs avis « autorisés » : Hervé Bérard, Fernand Garcia et Jean-Pierre Quignaux, membres de la Commission de Classification, Frédéric Vengeon, philosophe, Francis Schérer, psychologue, Jean-Baptiste Morain, critique de cinéma, Jean-Marc Leveratto, sociologue. Une bibliographie internationale (4 pages) et un Index des noms, notions et films principaux (4 pages), ferment rapidement le tout. Pour définitivement conclure, faut-il interdire ou limiter ? Il appartient à chacun d’avoir son opinion. En lisant ce livre, on s’en fera une, on la forgera ou on en changera.


Laurent Jullier
Armand Colin, 2008, 256 p., 22 €.


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