Infiltration

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Le monde militaire et son absurdité dans l’Israël des années 1950 dans un film qui échappe malheureusement un peu à une lecture complète.

A défaut d’être une incontestable réussite, la troisième réalisation de Dover Kosashvili (après Mariage tardif et Cadeau du ciel, en attendant avec curiosité son Anton Chekhov’s The Duel) permet de mesurer l’écart qu’il peut y avoir entre la vision d’un auteur et la réception de son film. Dans le cas d’Infiltration, les deux ne se rencontrent que de manière partielle.

Infiltration met en scène la formation de jeunes militaires israéliens – au vue des décors et des costumes – dans les années 50/60. Mais en lieu et place de fières et vaillantes recrues, la section du camp d’entraînement comprend ceux qu’on s’attendrait plutôt à voir dispensés : des handicapés physiques ou mentaux légers ou moyens. La première partie du film semble démontrer, sur un ton plutôt comique, l’absurdité des méthodes employées, à la limite de l’endoctrinement (répétition des ordres et des activités, réprimandes, humiliation…) dans un univers nécessairement clos où la réflexion est bannie au profit de l’obéissance. Le portrait est peut-être un peu chargé – encore que – mais la diatribe drôlement efficace. Le camp apparaît comme le royaume du non-sens, où il est naturel de faire courir jusqu’à épuisement un asthmatique ou d’apprendre à jeter une grenade à un handicapé mental. Où surtout la moindre dérive ou bourde peut avoir des conséquences catastrophiques. La bienveillance du regard porté par le réalisateur sur ses personnages fait qu’on parvient à rire des situations, tant elles sont ubuesques sans jamais rire des personnages. Au contraire, un véritable attachement se crée avec certains d’entre eux. Une jolie réussite.

Mais derrière ce premier film accessible à tous s’en dessine un autre dont les implications, à la fois historiques et sociales, sont plus complexes. Infiltration est l’adaptation d’un classique de la littérature iranienne de Yehoshua Kenaz. Le contexte, c’est précisément celui de l’immédiat après création de l’Etat d’Israël et de la Guerre d’Indépendance, donc celui d’un pays neuf mais instable qui connaît une immigration énorme. Ce contexte n’est pas explicité par le film, et à défaut de bien connaître l’histoire d’Israël il nous restera étranger. Là où pour ne pas alourdir son film par une voix off ou des cartons explicatifs, Shirin Neshat apportait dans le récent Women withtout men l’information au sein même du plan par la radio en fond sonore, Dover Kosashvili fait ce choix, finalement assez radical, de l’absence de précision. Le film reste lisible mais à un degré superficiel pour le non spécialiste : une histoire détachée de son contexte, une forme floue qui ne permet pas de saisir détails ou nuances.

Ainsi si la première partie met en place la nécessité de défense et de sécurité du pays, très vite ce sont les relations entre les personnages, leurs réactions et les différents conflits qu’elles suscitent qui occupent le devant de la scène. Sans mettre de mots dessus, c’est de questions ethniques dont traite le film en filigrane. Le camp est un résumé de l’Israël d’alors, une mosaïque d’homme d’origines différentes. L’accent mis sur quelques personnages et leur développement notamment dans les scènes de permissions hors du camp permettent au réalisateur d’approfondir ces points. Si elle est nécessaire – elle permet par exemple de mieux mesurer l’humiliation finale du personnage kibboutz d’Alon par exemple –, la sortie du camp et les histoires connexes sont malheureusement dommageables au rythme et à l’unité du film. Passées les barrières de l’isolement militaire, Infiltration se délite dans des scènes cartes postales.

 
Etrange objet donc qu’Infiltration qui, s’il peut se comprendre à différents niveaux, exclut une partie de son public par son absence de contextualisation. Dommage car dans cette lecture superficielle, on manque justement la part la plus intéressante du film et du roman : la difficulté de la cohabitation et de la constitution d’une nation. Reste néanmoins une habileté et une finesse à décrire la vie et l’absurdité militaire qui n’est pas sans rappeler la première moitié de Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, 1986), jusque dans la répétition du plan large sur l’intérieur du baraquement. Un beau modèle pour un film malheureusement bancal.

Titre original : Hitganvut Yechidim

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Durée : 116 mn


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