In girum nocte et consumimur igni comporte un des plus beaux hommages de Paris qui ait jamais été écrit. Guy Debord était un très grand prosateur, dans tous ses livres. Il apporte dans les deux oeuvres « autobiographiques » qu´il nous a laissées à la fin d´une vie mouvementée et secrète (In girum nocte et consumimur igni au cinéma et les deux tomes de son Panégyrique pour le livre) une dimension à la fois mythique (sa vie, sa guerre, sa ville) et émotionnelle (sa langue, sa mémoire), qui ajoute encore à la force de son oeuvre. Une oeuvre certes difficile, dialectique et ironique, pleine de chausse-trappes, mais dont ce film en particulier montre une dimension mal connue de son auteur : celle du poète.
Poète ricanant qui ne se prive pas de moquer un certain cinéma, lyrique et poétique par déclaration (l´extrait de Cocteau, Les enfants du Paradis), mais poète-philosophe qui laisse libre cours à une magnifique, souveraine, sereine nostalgie. Car Guy Debord revient dans ce film au titre circulaire sur sa vie, son « parcours » comme on dirait aujourd´hui. Parcours violent, mélancolique et profond où la guerre permanente contre la culture, qu´il a menée au nom du situationnisme et du lettrisme, l´a conduit sur les rives de l´Arno, de la Seine, du Grand Canal – et ailleurs. Film plus poétique et philosophique que « documentaire », où l´eau est partout avec le feu de la bataille. L´eau qui emportera tout – comme le temps emporte tout – mais qui laisse leur chance momentanée et somptueuse aux quelques villes (Venise, Florence, Paris) traversées par Guy Debord – cette Pythie d´une époque déjà révolue.
Certes In girum nocte et consumimur igni, comme La société du spectacle (1973), consiste aussi en une critique de cette « représentation » qui a remplacé la vie et l´a soumise à ses règles. Et le film ne renonce pas à dénoncer, comme Debord l´a fait toute sa vie. Mais ce long métrage réalisé en 1978 – soit dix ans après « les événements de mai » – s´apparente davantage au testament. Testament du penseur, du philosophe (Héraclite retrouvé), testament du poète qui évoque Villon et son éloge de la racaille. Testament où Paris est un mythe disparu lui aussi, à l´image d´un écrivain qui jusqu´au bout est resté caché et ne se livre guère plus dans les quelques plans fixes de In girum nocte et consumimur igni sur un album-photo flou et parcimonieux. Car le personnage pour qui « rien n´est vrai, tout est permis » fait de lui-même un mythe invisible et d´autant plus présent : Lacenaire d´hier et de toujours.
Il ne faut donc pas seulement relire Debord, pour constater par exemple la justesse désespérante de ses analyses sur notre temps, mais il faut revoir des films qui introduisent un hédonisme et une passion de la « voix » – celle de la Pythie – sans égale, et une science de l´image – ses vérités cachées et ses mensonges permanents – dont Godard (Histoire(s) du cinéma) semble aujourd´hui le seul légataire.