Héros de guerre et martyr, espion malgré lui, homosexuel persécuté : le cahier des charges est rempli, et l’Académie n’a pas hésité une seconde à nommer le film aux Oscars dans la catégorie Meilleur long métrage (et cité sept fois par ailleurs). Pas un chef-d’oeuvre – trop soucieux de bien faire pour s’autoriser la moindre sortie de route -, Imitation Game est un divertissement de bonne facture, aussi classique dans sa forme que plutôt intelligemment monté. Ambitionnant d’embrasser en parallèle les facettes historiques et intimes, le film fait des allers-retours entre le passé de Turing et l’intrigue actuelle, qui progresse concomitamment de la découverte de l’histoire du personnage. Le tout se déroule sans peine, sans génie non plus : pas de grande idée de mise en scène mais pas de baisse de régime, un souci de la reconstitution historique (on oublie les scènes de guerre, ridicules) et un hommage respectueux à l’homme qu’était Turing. C’est sur l’exploration de sa vie intime qu’Imitation Game bute le plus sévèrement : la tentative de subtilité du film de ne pas surinvestir son homosexualité finit par ne rien dire du tout des atermoiements personnels qui étaient les siens, n’était-ce de niais souvenirs d’un premier amour au lycée, mort subitement d’une maladie.
Lançant plusieurs pistes passionnantes sans jamais faire autre chose que les esquisser, le film semble souvent ployer sous le poids d’un sujet trop grand pour lui. Ainsi des mécanismes de l’intelligence et de la réflexion, ici mis en parallèle de la fabrication d’une machine qui n’est autre que l’ancêtre de l’ordinateur : sur le fait de réfléchir trop bien, trop vite (Cumberbatch est, dans ces scènes de soliloques effrénés, évidemment parfait), Imitation Game est lui-même à la traîne, incapable de suivre le même schéma de raisonnement que celui de son héros. De même pour le couple platonique formé avec le personnage de Keira Knightley, qui questionne les limites sociales du génie – quelle vie pour les outsiders ? – sans jamais aller plus loin dans l’analyse. Il y a qu’Imitation Game est, avant toute chose, un star wagon : c’est un film pour son acteur principal, autour de lui. De fait, les personnages secondaires n’existent jamais réellement : quand ils s’avancent, ce n’est que pour mieux porter Cumberbatch, à l’instar de la scène où, Turing étant sur le point de se faire démettre de ses fonctions, ses collègues prennent la parole, “il faudra nous virer aussi”. Au questionnement personnel de Turing – “Je suis quoi ? Homosexuel, espion, héros de guerre ?” -, Imitation Game peine à répondre, pâle biopic à la limite de l’hagiographie d’un homme bien plus complexe que ne l’est le film.