Imitation Game

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Biopic efficace mais sans aspérité à la gloire de Benedict Cumberbatch.

Pour qui a vu Sherlock, la série de la BBC dans laquelle s’est illustré Benedict Cumberbatch, Imitation Game fera un étrange effet de rappel. L’acteur britannique, désormais star planétaire, joue le détective de la même manière qu’il joue Alan Turing : solidement, avec une telle présence et une telle verve que tout ce qui vient autour n’a d’autre choix que de s’éclipser. Il faut dire que Holmes et Turing partagent une personnalité similaire, celle d’un homme qui réfléchit trop vite et trop bien, excluant d’emblée toute patience pour les cerveaux un peu plus lents. C’est, d’ailleurs, l’aspect le plus intéressant d’Imitation Game, quand le film explore le côté mystérieux et secret de l’intelligence et s’interroge sur l’incompatibilité entre génie et sociabilité. Il ne fait malheureusement qu’effleurer son vrai et beau sujet pour se recentrer sur le biopic classique d’un quidam devenu héros, brillant esprit précoce. Alan Turing a existé, c’est ce mathématicien et cryptologue qui, en 1940, est embauché par Londres pour craquer le code de la machine de cryptage allemande Enigma, supposée inviolable. Avec une équipe restreinte et dans le secret, il y parviendra, réduisant d’environ deux ans la capacité de résistance du régime nazi. En 1952, un fait divers révèle son homosexualité, illégale à l’époque : à la prison, il préférera la castration chimique, avant de se suicider au cyanure en 1954. Il faudra attendre 2013 pour que la reine Elizabeth II le gracie à titre posthume.

Héros de guerre et martyr, espion malgré lui, homosexuel persécuté : le cahier des charges est rempli, et l’Académie n’a pas hésité une seconde à nommer le film aux Oscars dans la catégorie Meilleur long métrage (et cité sept fois par ailleurs). Pas un chef-d’oeuvre – trop soucieux de bien faire pour s’autoriser la moindre sortie de route -, Imitation Game est un divertissement de bonne facture, aussi classique dans sa forme que plutôt intelligemment monté. Ambitionnant d’embrasser en parallèle les facettes historiques et intimes, le film fait des allers-retours entre le passé de Turing et l’intrigue actuelle, qui progresse concomitamment de la découverte de l’histoire du personnage. Le tout se déroule sans peine, sans génie non plus : pas de grande idée de mise en scène mais pas de baisse de régime, un souci de la reconstitution historique (on oublie les scènes de guerre, ridicules) et un hommage respectueux à l’homme qu’était Turing. C’est sur l’exploration de sa vie intime qu’Imitation Game bute le plus sévèrement : la tentative de subtilité du film de ne pas surinvestir son homosexualité finit par ne rien dire du tout des atermoiements personnels qui étaient les siens, n’était-ce de niais souvenirs d’un premier amour au lycée, mort subitement d’une maladie. 
 

 

Lançant plusieurs pistes passionnantes sans jamais faire autre chose que les esquisser, le film semble souvent ployer sous le poids d’un sujet trop grand pour lui. Ainsi des mécanismes de l’intelligence et de la réflexion, ici mis en parallèle de la fabrication d’une machine qui n’est autre que l’ancêtre de l’ordinateur : sur le fait de réfléchir trop bien, trop vite (Cumberbatch est, dans ces scènes de soliloques effrénés, évidemment parfait), Imitation Game est lui-même à la traîne, incapable de suivre le même schéma de raisonnement que celui de son héros. De même pour le couple platonique formé avec le personnage de Keira Knightley, qui questionne les limites sociales du génie – quelle vie pour les outsiders ? – sans jamais aller plus loin dans l’analyse. Il y a qu’Imitation Game est, avant toute chose, un star wagon : c’est un film pour son acteur principal, autour de lui. De fait, les personnages secondaires n’existent jamais réellement : quand ils s’avancent, ce n’est que pour mieux porter Cumberbatch, à l’instar de la scène où, Turing étant sur le point de se faire démettre de ses fonctions, ses collègues prennent la parole, “il faudra nous virer aussi”. Au questionnement personnel de Turing – “Je suis quoi ? Homosexuel, espion, héros de guerre ?” -, Imitation Game peine à répondre, pâle biopic à la limite de l’hagiographie d’un homme bien plus complexe que ne l’est le film.

Titre original : The Imitation Game

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Durée : 114 mn


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