Hungry Hearts

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Les dents de la mère.

Une rencontre impromptue et embarrassante dans les toilettes d’un restaurant chinois plus tard, et voilà Jude et Mina amoureux, en couple et mariés. Entre l’Américain dégingandé (Adam Driver) et la gracile Italienne (Alba Rohrwacher), tout va très vite, voire trop vite car les voilà déjà avec un enfant. Un enfant indigo selon la prédiction d’une voyante à dix dollars, adepte de ce concept New Age qui désigne des bébés nés avec des aptitudes particulières si ce n’est des pouvoirs paranormaux. Cette idée qui ferait rire n’importe qui, y compris Jude, va trouver un écho chez Mina. Surprotégé à l’extrême, leurs fils ne sortira pas de l’appartement, ne mangera pas de viande, ne prendra pas de médicaments ; le monde extérieur est désormais son ennemi.

Ce scénario, Saverio Constanzo l’a écrit en sept jours seulement, au bout d’un an et demi de gestation ou plutôt de hantise causée par la lecture d’Il bambino indaco (2012), écrit par l’italien Marco Franzoso. Histoire quasiment sans dialogues, aux personnages assez peu développés, le défi pour son quatrième long-métrage était d’étoffer et d’incarner cette chronique.

 

Pour ce faire, le réalisateur a tenu à construire un film articulé autour de trois points de vue différents : celui de Mina, de Jude puis d’Anne la mère de Jude, dans le but de ne pas orienter le spectateur qui peut être une personne très influençable. Afin que ce dernier saisisse bien le fait que chacun de ces trois personnages a raison et qu’il n’est pas bien de juger autrui, la mise en scène va se charger de lui faire passer le message. Quand Jude commence à se méfier de sa femme, à avoir peur d’elle, la musique opère un mix entre Psychose (Psycho, Alfred Hitchcock,1960) et Les Dents de la mer (Jaws, Steven Spielberg, 1975). Mina, pendant ce temps, se sent incomprise, elle est cloîtrée dans sa paranoïa, alors elle est filmée en fisheye ou en plongée. A ses yeux, sa belle-mère est la principale menace, quelqu’un qui pourrait faire du mal à son fils, alors la maison d’Anne (son quasi manoir) est décorée d’animaux empaillés et de trophées de chasse. On le voit, le ressenti de chacun est explicité avec subtilité et sans emphase aucune. Tout cela donc pour nous empêcher de porter un jugement en nous mettant à la place de Jude, puis de Mina, puis d’Anne ; nous ne sommes plus au cinéma, nous sommes dans un tribunal. Parole à l’accusation, parole à la défense pour finir par un non-lieu du réalisateur. Malgré toutes ses précautions, nous avons pourtant, nous, un avis bien tranché.

Socquettes roses, petit sac à dos, robes trop mignonnes sûrement achetées dans une friperie hype, Mina a le look parfait de la hipster qui cultive des poireaux bio sur son toit. Elle explique à son mari, avec sa toute petite voix, qu’elle sait ce dont leur fils a besoin, et lui il la comprend parfois, parce qu’il l’aime. Mais nous, nous avons juste envie de la secouer et de lui crier de se réveiller un peu. A aucun moment, elle n’éveille notre sympathie, elle est agaçante du début à la fin car nous ne comprenons pas ses motivations qui l’ont faite basculer dans la surprotection, comme par magie. Une piste reste en suspens, inexplorée, dans les rapports entre Mina et son enfant. Avant de tomber enceinte, une promotion lui était offerte à condition de quitter New-York et donc Jude, au grand désarroi de ce dernier. S’ensuivra une grossesse opportune (en ce qui le concerne) dont l’annonce n’est pas un moment d’euphorie partagée, tout comme la conception de l’enfant venait plus de son désir à lui. Et si Mina n’avait pas voulu de cet enfant ou ne l’avait pas réellement aimé dès le départ ? On ne le saura pas, comme si ces scènes n’avaient pas existé.

 

Malgré les exagérations esthétiques qui nous expulsent du film, les acteurs (Adam Driver au premier rang) parviennent à nous y ramener sans faire les malins comme Costanzo avec sa caméra. Couleurs passées, bruit à l’image, Hungry Hearts tourné en super 16, a l’allure d’un film de famille vintage tout droit sorti du grenier. New-York y devient une ville sans âge, perdant de ce fait une partie de sa dangerosité, ce qui décrédibilise un peu plus la partie horreur psychologique du film alors que le thriller et la comédie romantique étaient eux plutôt réussis.

Titre original : Hungry Hearts

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Durée : 113 mn


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